Après six mois d’enquête, le journaliste Saber Jendoubi vient de publier un livre consacré à Waldemar Kita, dont le nom n’est pas anodin : L’insaisissable Mr K. Une façon de rembobiner le parcours du sinistre président du FC Nantes, et de recueillir près de 25 ans de chaos dans le monde du football pour l’homme d’affaires franco-polonais.
Entretien avec Jérémie Baron
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Comprendre qui était cet homme. Un homme qui est là depuis quinze ans, dont les débuts tonitruants, ses choix et non-choix sportifs sont chroniqués quasi quotidiennement par la presse. On fait souvent l’analogie avec le cirque, et l’idée était d’aller dans les coulisses du « cirque Kita », d’en comprendre la mécanique. Je ne connaissais pas du tout cet homme et beaucoup de choses m’ont frappé. C’est un travail collectif. Je ne me rendais pas compte de la richesse du travail des journalistes, sportifs et autres, qui travaillent chez Waldemar Kita depuis quinze ou vingt ans. C’est incroyable. J’ai essayé de compiler tout ça. Tous ces gens qui travaillaient à Kita avaient du courage.
N’était-ce pas trop difficile d’en savoir plus sur Kita ou de trouver des gens qui voulaient parler de lui ?
Il y a des choses qui remontent à 30 ou 40 ans, certains ne veulent rien savoir sur Kita, et d’autres en ont marre de ces histoires, de leur passé avec lui. Soit il y a des gens qui ont une mauvaise image de Kita et ne veulent rien en savoir, soit des gens qui craignent certaines répercussions ou la colère de l’homme… Tu sais très bien que des choses se sont passées, et quand tu appelles les gens , ils disent “Oui, il y a eu des histoires, mais peu importe, je lui dois tout” , etc. Il y a un discours, une certaine ambivalence avec Kita. Il a tendu la main à beaucoup de gens au cours de ses 50 ans de carrière, mais il a aussi fait le contraire.
Dans la première partie du livre, on comprend que Kita a de nombreux côtés sombres. (notamment sur le passé et la mort de son père, les conditions de sa venue en France, ses études d’optique ou encore sa carrière de joueur) et qu’il aime la jouer pour la tourner en sa faveur.
Le problème, c’est qu’ils répètent, contredisent des choses qui sont dans la presse depuis 20 ou 30 ans. Il faut plus de six mois pour découvrir la vérité sur Kita. Il a brodé. Je pense qu’on peut dire qu’il n’a jamais été un joueur international, comme il le prétend. Idem pour le diplôme de formateur : montrez-le, votre diplôme (Kita aurait un diplôme homologué en Pologne, NDLR). L’association polonaise de football m’a dit merde, n’a pas pu me montrer le diplôme. Je ne dis pas qu’il ne le fait pas, mais… Personne ne peut prouver les affirmations de Waldemar Kita. Même en Pologne, c’est brumeux, c’est lointain. C’est épuisant.
Ce qui ressort notamment de son travail, c’est que son succès précoce avec Corneal, avec l’entrée en bourse de la société, l’a transformé en ce personnage prêt à tout casser autour de lui.
Je ne sais pas si ça le révèle ou si c’était déjà comme ça au début, mais pour beaucoup de ses collègues et anciens collaborateurs ça a été une révélation. Il y a aussi l’entourage : fréquentant ce monde du foot, des gens gourmands, un entourage plutôt toxique, qui profite de sa passion du foot pour le pousser à acheter, prendre un club, acheter des joueurs. Cela en fait partie. C’est la carte en bourse qui la fait tourner, derrière elle il y a un entourage dans le monde du sport, qui lèche ses bottes. Des gens qui pensent qu’il est possible de gagner de l’argent facilement dans le monde du football. Waldemar Kita en était convaincu, en est-il toujours convaincu ? Il le fait, en quelque sorte, pour rester pour toujours. C’est dans l’esthétique. Avec les cosmétiques, quelque part, cherchez l’éternité.
Le FC Nantes est une vitrine pour lui, une visibilité pour son entreprise.
C’est exactement cela. A cette époque, nous avons acheté un cheval de course. Aujourd’hui pour Kita, un club de football, c’est une façon de faire douce puissance.
« A cette époque, nous avons acheté un cheval de course. Aujourd’hui pour Kita, un club de football, c’est une façon de faire douce puissance. »
Pensez-vous que Kita est un personnage unique dans le football français, ou au contraire le stéréotype du président du club ?
Il répond à tous les critères, mais dans l’exagération, jusqu’à la caricature. Je pense aussi que c’est la fin d’un modèle. Il y a un côté berlusconien. Tout ce dont vous avez besoin est d’entrer en politique, mais a tous les traits d’un Berlusconi. Ils l’ont aussi comparé à Trump : je dis pourquoi pas, il y a quelque chose dans les évasions, dans les sorties, dans sa façon de répondre. Mais dans sa carrière, c’est Berlusconi. Ça fait partie de l’ancien monde, ce genre de mode de gestion. C’est le monde d’avant, les années 1980.
Cela voudrait-il dire qu’il est en fin de cycle à Nantes ?
Ce que certains de ses proches me disent, c’est qu’il va mourir sur scène. Il mourra sur l’herbe. Le propriétaire du FC Nantes va mourir. Il aime trop cette visibilité, ces projecteurs et être l’objet de ces ressentiments.
Vos méthodes brutales et votre gestion désastreuse au FC Nantes sont-elles finalement les mêmes que celles que vous utilisiez auparavant dans vos entreprises ou au FC Lausanne, dont vous étiez également président ?
A Lausanne ça a été rapide, ça n’a duré que trois ans, donc les gens n’ont pas eu le temps de trop souffrir de sa gestion calamiteuse, même si le club s’est retrouvé dans le pétrin par la suite. (Le FC Lausanne s’est retrouvé en faillite et relégué administrativement, quelques mois après le départ de Kita, ndlr). Il y a eu quinze ans de mauvaise gestion humaine. Mon angle était celui-ci : parler des gens de ce club, voir des gens qui se plaignent, qui en ont marre, fatigués et presque honteux de travailler au FC Nantes. J’ai demandé beaucoup de documents, notamment aux prud’hommes, aux syndicats, etc., mais personne ne voulait parler, dites-moi ce qui s’est passé. Il y a une centaine d’employés, il s’est passé beaucoup de choses, mais personne ne veut parler. Il y a un mur de silence.
Le fait que tu ne sois pas resté assez longtemps à Lausanne pour détruire ton image, est-ce cela qui t’a permis d’acheter le FCN ?
Kita reste un mystère. Je pense qu’il y a aussi des liens politiques parisiens qui le relient au FC Nantes. A cette époque j’avais beaucoup d’argent grâce à la bourse, bien plus qu’en 1998 (lors de sa première demande de reprise du club ; il a refusé au profit de Socpresse), et c’est ce qui lui a permis de racheter le FC Nantes. C’est ce qu’il interroge : comment a-t-il pu passer les filtres et pouvoir racheter le club ?
Un passage du livre évoque le drame d’Emiliano Sala et notamment la manière dont Kita aurait tout fait pour le faire partir. Y compris s’arrêter pour lui serrer la main alors qu’ils passaient devant lui. Avez-vous eu le sentiment que l’affaire Sala avait marqué un tournant dans la méfiance générale à l’égard de Kita ?
Pas nécessairement, mais cela a médiatisé ce comportement. Parmi les supporters, tout le monde savait ce qui se passait au FC Nantes depuis 2007 ; mais là, il a dépassé la citadelle du FC Nantes. Ce qui motive les choix de Kita en ce moment, c’est l’entreprise avant tout, plutôt que l’athlète. Je n’invente rien, c’est ce qui est emblématique du management de Kita, à tous les niveaux : l’argent avant les gens.
La fin du livre est l’occasion de détailler les affaires judiciaires dans lesquelles Waldemar Kita s’empêtre…
Oui, et à Nantes on n’a pas fini d’entendre parler de Waldemar Kita, c’est sûr. Il y aura peut-être un tome 2. (Rire.)
Entretien avec Jérémie Baron
Lis : L’insaisissable Mr K. de Saber Jendoubi, aux éditions Ouest-France (2022, 180 pages).
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