pourquoi la reconversion de l’usine de Fessenheim n’a pas encore vu le jour

Novarhena est désormais révolue et l’avenir du territoire de Fessenheim semble de plus en plus flou. La société d’économie mixte (SEM) voulue par les collectivités territoriales françaises et allemandes et soutenue par la Caisse des Dépôts » sera dissous le 14 octobre a annoncé sa présidente Lara Millón. Sans porter aucun fruit. Créée en avril 2021, Novarhena devait « répondre à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim », comme l’a annoncé Frédéric Bierry, président de la Communauté européenne d’Alsace. La SEM était destinée à accompagner la reconversion économique de ce territoire du sud Alsace, touché par la perte de 2 000 emplois directs et indirects.

Le laborieux recyclage des combustibles usés, l’autre grand échec du nucléaire français

Mise en service en 1977, la plus ancienne centrale nucléaire de France a été déconnectée du réseau le 30 juin 2020. Elle était devenue le moteur de l’économie de la commune de Fessenheim (2 300 habitants) et de son bassin d’emploi. La promesse d’EDF de créer un « pôle technologique » (150 emplois) pour recycler ses déchets nucléaires à Fessenheim n’a pas été confirmée. Le dossier de démantèlement soumis à l’ASN ne donnera pas lieu à un arrêté autorisant le démarrage des travaux avant 2025.

“Un véhicule pour rien”

Pendant ce temps, tout le territoire s’interroge. Les outils conçus pour la relance économique n’ont pas prouvé leur pertinence. Les rêves d’un développement économique conjoint franco-allemand, dans l’esprit du traité d’Aix-la-Chapelle, se sont évanouis. ” Il y a eu une incompréhension des communautés, qui ont créé un véhicule pour rien », on reconnaît dans l’entourage Jean Rottner, président du Conseil régional du Grand-Est. Est ” Mauvaise interprétation” aura mobilisé 1 M€ de capital, apporté par le Conseil Régional (25%), la Communauté Européenne d’Alsace (19%), la Caisse des dépôts (25%), EDF (6,5%), diverses collectivités locales allemandes (12 %). Des chambres de commerce et plusieurs banques régionales complétaient le bilan du capital de Novarhena.

Les actionnaires ont prévu le développement d’une nouvelle zone d’activités sur 220 hectares au nord de l’usine, sur les rives du canal du Rhin vers le port de Colmar-Neuf-Brisach. Cette zone d’Ecorhena, soumise à une procédure d’urbanisme public, est également paralysée. Des études environnementales préliminaires ont révélé une présence inattendue, celle d’une remarquable espèce de crapaud, qui provoquait le blocage de tout projet dans la lande. La superficie convenable a alors été réduite à 55 hectares. Les voisins viennent de déposer un recours pour empêcher toute exploitation. ” On s’est retrouvé avec quelque chose d’enclavé, coupé aux trois quarts. Tout ça à cause d’un crapaud, ça ressemble à une blague”Michel Habig, ancien député du Haut-Rhin, s’emporte.

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Promesses non tenues

« Novahrena a été créée pour développer la zone Ecorhena. La SEM n’a servi à rien, si ce n’est à brûler un demi-million d’euros de capital pour payer les dépenses et les salaires. Il était temps d’arrêter ces dépenses »rugit Raphaël Schellenberger, député (LR) du Haut-Rhin et fervent partisan d’une renaissance du territoire de Fessenheim par l’énergie nucléaire. “ Emmanuel Macron évoque un soutien à la technologie des petits réacteurs modulaires, les SMR. Il va falloir installer ces démonstrateurs quelque part. Notre territoire a tous les atouts »se défend le député, auteur d’un rapport instructif sur l’énergie nucléaire présenté à la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale.

Les promesses non tenues et les faux-fuyants ont assombri la carte post-Fessenheim. ” Cette fermeture n’entraînera aucune perte d’emploi. Il y aura un accompagnement particulier pour les sous-traitants, les commerçants, tous ceux qui ont vécu avec l’usine »Elisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique, l’avait promis avant la fermeture du premier réacteur en 2020.

« Nous avons parlé de nous installer dans le photovoltaïque. Mais de tels projets prennent de nombreuses années.reconnaît Lara Millón, conseillère régionale et présidente de la SEM Novarhena. Le 23 septembre, dans l’hémicycle du Conseil régional, Jean Rottner évoque une nouvelle fois la trace d’un établissement industriel à Fessenheim, sous le sceau de la confidentialité. ” Les industriels des filières hydrogène et biomasse ont déjà fait grand bruit en annonçant leur possible arrivée à Fessenheim. Ça n’a jamais été sérieux.”commente Raphaël Schellenberger.

“Je suis complètement désolé. La dissolution de la SEM refroidira les investisseurs. Il y avait de grands projets pour mettre en place du high-tech, visible, avec une marque mondiale. Fini le grand délire post-Fessenheim des 200 hectares »Il soupire près du dossier.

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L’avenir corrélé à celui d’un port fluvial

L’avenir de Fessenheim est désormais lié à celui du port fluvial de Colmar-Neuf-Brisach, à une dizaine de kilomètres au nord de l’usine fermée. Construit dans les années 1960, le port assure la logistique des colis lourds des industriels (métallurgie, chaudronnerie) de la région. Il est exploité depuis deux ans en syndicat mixte par les collectivités, la chambre de commerce et le transporteur CFNR. ” Nous attendions un appel d’offres pour lancer le développement de notre territoire. Cet appel d’offres n’a jamais eu lieu. Le syndicat mixte des docks m’a finalement dit que la zone serait développée directement. Par conséquent, nous avons décidé d’arrêter les charges et de dissoudre le SEM.confirme Lara Million.

Ainsi, l’avenir de la zone d’activité après Fessenheim sera en partie lié à la logistique fluviale. « Nous avons récupéré des surfaces supplémentaires et les avons organisées en sept parcelles », a déjà été annoncé par Jean-Marc Thomas, directeur général du port. ” Les trois premiers lots seront exploités directement par le port. Les quatre derniers, de 25 hectares, seront dédiés en partie à la création de nouvelles infrastructures logistiques. Il reste donc une quinzaine d’hectares pour lesquels nous rechercherons un ou plusieurs occupants. Nous avons des contacts dans l’industrie et les services, encore au stade confidentiel.annonce Jean-Marc Thomas.

Côté allemand, c’est silence radio. Aucune commune d’outre-Rhin (Landkreis Breisgau-Hochschwarzwald et cinq communes) impliquée dans la SEM Novarhena n’a pris la parole pour dénoncer le désordre. ” Les Allemands n’en ont jamais voulu, c’est le fond du problème.”, reconnaît Jean-Marc Thomas. ” Les Allemands ont pris des positions politiques relativement faibles., rappelle dans son langage diplomatique Gérard Hug, président de la Communauté de communes du Pays Rhin-Brisach. ” Nos amis allemands se moquent de nous.”, déplore Raphaël Schellenberger. Le solde des comptes de la SEM Novarhena présente un excédent de 520 000 euros, qui sera remboursé au prorata à ses actionnaires. En dix-sept mois, véhicule pour rien » n’aura consommé que 480 000 euros. C’est peut-être la seule bonne nouvelle de cet épisode de la conversion de Fessenheim.

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