
Ça ne se voit pas dans la masse salariale, mais ça se ressent en fin de mois : la hausse des prix
– près de 10 % en un an pour l’alimentation, 18 % pour l’énergie – consomme le revenu disponible des ménages. Et la proposition d’indexer les salaires sur l’inflation, c’est-à-dire de modifier les rémunérations en fonction de l’indice des prix à la consommation, a été relancée dans le débat public.
« Il est temps de revenir à l’échelle mobile des salaires (…), un mécanisme d’augmentation automatique des barèmes des salaires et des pensions de retraite en fonction de l’inflation. Avec des répercussions immédiates dans toutes les branches »revendique la CGT, qui tente de mobiliser les salariés sur la question du pouvoir d’achat.
Quelle serait l’utilité de ce dispositif dans la situation actuelle ? Quels seraient les risques ? Pourquoi le salaire minimum est-il un cas particulier ? Cinq questions sur l’indexation des salaires.
Où sont les augmentations de prix actuelles ? Et avec quelles conséquences sur les salaires ?
L’inflation des prix à la consommation, contenue à moins de 3 % en moyenne annuelle depuis le passage à l’euro au début du siècle, s’est envolée à l’été 2021. Portée par la reprise économique post-Covid-19 et les tensions énergétiques liées à la Guerre menée par la Russie en Ukraine, l’inflation a dépassé 6 % en glissement annuel en juillet. Il a notamment battu des records dans les domaines de l’énergie et des transports (le transport aérien a bondi de 40 % en août), mais aussi de l’alimentation (plus de 30 % dans les viandes congelées).
Les salaires ne changent pas aussi rapidement. Entre juin 2021 et juin 2022, l’indice mensuel des salaires de base a augmenté de 3,1%, détaille la gestion, les recherches, les études et les statistiques du ministère du Travail. Mais avec une inflation de 6% sur la même période, le salaire réel baisse de 2,9%.
Pourquoi les salaires ne sont-ils plus indexés sur l’inflation ?
En 1952, pour lutter contre une inflation qui dépasse les 20 %, le chef du gouvernement de l’époque, Antoine Pinay, vote le gel des prix, l’indexation des salaires en fonction de l’évolution de ces derniers et la création d’un salaire minimum interprofessionnel garanti (smig ). Mais, après les deux crises pétrolières de 1973 et 1979, un nouvel épisode inflationniste – la hausse des prix dépasse 13 % en 1980 – contraint les entreprises à revoir leur masse salariale à la hausse. Ce faisant, ils alimentent une spirale “salaire-prix”, les hausses salariales incitant à une hausse des coûts de production, et donc des prix d’achat des biens et services, ce qui entraîne à son tour de nouvelles augmentations des rémunérations…
En 1983, le mécanisme d’indexation est victime du « twist d’austérité » du premier septennat de François Mitterrand : il est abandonné dans le cadre de la politique d’austérité menée par le gouvernement du socialiste Pierre Mauroy. En quelques années, la hausse des prix est maîtrisée et le taux d’inflation ne dépasse plus 4 %.
Cette victoire de la « désinflation compétitive » est souvent prise en exemple par les opposants au système d’indexation des salaires. En réalité, la maîtrise de l’inflation au cours des dernières décennies est due à la fois à la modération salariale et aux corrections sévères de la politique monétaire, au resserrement des taux et à l’accès au crédit. “Lorsque l’inflation a frappé, la politique monétaire est rapidement devenue très restrictive, ce qui a ralenti la croissance, augmenté le chômage et donc rapidement réduit l’inflation”décris Patrick Artus, économiste chez Natixis.
Pourquoi le salaire minimum est-il un cas particulier ?
Pour protéger les salariés les moins bien payés, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic), qui sert de base à toute l’architecture des bas salaires en France, est resté indexé sur l’indice des prix à la consommation. Il est réévalué tous les 1c’est janvier sur la base des salaires les plus bas et sous réserve que l’inflation soit supérieure à 2 % ; mais elle peut aussi bénéficier de “coups de fouet” exceptionnels, les derniers datant de 2012, 2006 et 2001.
Par définition, les salariés ne peuvent pas être payés moins que le SMIC, mais comme ce dernier est “accro” à la locomotive inflationniste, il augmente plus vite que les bas salaires, qui mettent du temps à être revus par les branches professionnelles. Concrètement, ces salaires bas de gamme pourraient bénéficier de fortes hausses s’ils étaient également indexés sur l’inflation ou si les grilles étaient revues à la lumière de cette amélioration du salaire minimum.
“Cela crée un phénomène d’aplatissement des salaires au bas de la hiérarchie, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public.”, explique Jérôme Gautié, professeur d’économie à Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Avec pour corollaire un fort sentiment de dégradation de ces salariés moins favorisés, qui souffrent aussi de la hausse des prix.
“L’inflation actuelle est en grande partie due à la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires, qui frappent le plus durement les plus pauvres et les plus pauvres.”regrette l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.
Qui s’oppose à l’indexation des salaires ?
La hausse des salaires en réponse à la hausse des prix risque d’alimenter la fameuse spirale “salaire-prix” et de nuire à la compétitivité, avertissent les chefs d’entreprise et certains économistes. Même l’indexation du salaire minimum est remise en cause : le groupe d’experts qui conseille chaque année le gouvernement sur les réévaluations à effectuer, recommande de la décorréler de l’évolution des prix à la consommation, considérant qu’une hausse généralisée de tous les bas salaires aurait des conséquences désastreuses sur le coût du travail, la compétitivité… et in fine l’emploi. Un argument discuté dans la mesure où les entreprises bénéficient d’importantes exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires (jusqu’à 1,6 SMIC).
Actuellement, le gouvernement encourage la négociation interentreprises. La première ministre, Elisabeth Borne, a appelé cela « toutes les entreprises qui peuvent [à] augmenter les salaires dans un contexte d’inflation ».
Concernant le mécanisme de blocage de tous les prix, qui peut être fait par décret, pour une durée maximale de six mois en cas de “Situation de crise”, n’est actuellement pas mentionnée par le gouvernement en raison du risque de pénurie si les entreprises produisent à perte, et de son coût pour les finances publiques. Uniquement pour les prix de l’énergie, la facture est déjà de 30 milliards d’euros depuis le déploiement du bouclier tarifaire, qui a été prolongé jusqu’en 2023.
Pourquoi d’autres pays continuent-ils à indexer les salaires sur l’inflation ?
Divers pays de l’Union européenne disposent d’un système d’indexation : Belgique, Chypre, Danemark, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas et Slovénie. Trois d’entre eux (France, Pays-Bas et Slovénie) ne l’ont gardé que pour le salaire minimum. La Belgique, Chypre, le Luxembourg et Malte ont toujours un mécanisme d’indexation pour tous (ou la plupart) des salaires, quel que soit leur niveau. Mais pour eux aussi se pose la question d’une indexation durable en période d’hyperinflation.
En Belgique, l’indice servant au calcul de l’indexation des salaires, des prestations sociales et des loyers augmenterait ainsi de 9 % en 2022, contre 2 % en 2021 et 0,99 % en 2020, Selon le Bureau fédéral du Plan. Cette augmentation fait craindre une réaction en chaîne de la masse salariale du secteur privé et une perte de compétitivité, soulignée par l’Organisation de coopération et de développement économiques en vos dernières recommandations.
Malgré les difficultés attendues pour les entreprises, la fin de ce dispositif ne semble pas à l’ordre du jour. Pour Gabriel Colletis, professeur d’économie à l’Université de Toulouse, « L’indexation des salaires sur les prix ne subsiste que par le profit social. Il y a une sorte de paix sociale qui a été trouvée avec ce compromis et on ne le défait pas comme ça. »
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