Importer des quantités massives d’hydrogène renouvelable pour décarboner leur industrie et s’émanciper des énergies fossiles russes. L’Allemagne y travaille fort et s’est récemment rapprochée du Canada. En septembre, les deux pays ont créé une alliance pour l’hydrogène de part et d’autre de l’Atlantique esquissant les prémices d’un commerce international de cette minuscule molécule considérée comme stratégique pour atteindre la neutralité carbone, essentielle pour lutter contre le réchauffement global.
Outre-Rhin, l’objectif de la production domestique d’hydrogène renouvelable elle ne s’élève qu’à 14 térawattheures (TWh), pour une consommation estimée à environ 100 TWh en 2030. Au-delà de son rapprochement avec le Canada, le gouvernement d’Olaf Scholz a ainsi mis deux milliards d’euros sur la table pour nouer des alliances avec le Maroc, la Namibie, la République démocratique du Congo et même l’Afrique du Sud. L’Allemagne n’est pas la seule dans ce scénario et d’autres pays se préparent également à importer massivement de l’hydrogène décarboné, comme les Pays-Bas, la Belgique, le Japon et la Corée du Sud. Ces cinq pays ont une chose en commun. Ils ont tous une forte densité de population, mais en raison du manque de disponibilité foncière, entre autres, ils n’auront pas assez d’énergie électrique renouvelable compétitive pour produire suffisamment d’hydrogène par électrolyse de l’eau. Cette technique désormais préférée pour fabriquer de l’hydrogène sans émettre de CO2 consiste à casser une molécule d’eau avec un courant électrique pour séparer l’atome d’oxygène des atomes d’hydrogène. Son coût dépend donc largement du coût des électrons utilisés. Or, pour espérer remplacer en partie le gaz et le pétrole fossiles, l’hydrogène propre doit être compétitif.
Importations massives vs production locale
A l’autre bout de la chaîne, le Canada, le Chili, l’Australie, le Brésil, les pays du Moyen-Orient, du Maghreb ou encore la Namibie se positionnent déjà comme de grands exportateurs d’hydrogène vert. En Europe, l’Espagne et le Portugal réfléchissent également à cette stratégie. Ils disposent tous de géographies et/ou de climats favorables pour produire de l’électricité à partir d’énergies renouvelables (solaire, éolien terrestre et offshore, hydraulique) à très faible coût.
Reste que cette vision d’un commerce de l’hydrogène à longue distance ne fait pas l’unanimité, notamment pour les questions de souveraineté. La France, par exemple, défend la production locale grâce aux électrolyseurs alimentés, entre autres, par son parc nucléaire.
«Tous les experts m’expliquent qu’il serait absurde de transporter de l’hydrogène de l’Espagne vers la France ou l’Allemagne », a défendu début septembre Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat a alors fait valoir son opposition au projet d’interconnexion gazière MidCat, sollicité par l’Espagne, le Portugal et l’Allemagne, et qui pourrait ultérieurement abriter de l’hydrogène.
Au-delà de cette fracture géopolitique, l’échange d’hydrogène sur de très longues distances soulève de nombreuses questions. Le premier concerne sa faisabilité technique. En effet, l’hydrogène est un gaz extrêmement léger. Impossible de le transporter à l’état gazeux. Il faudrait des navires de taille considérable. Il est donc essentiel de réduire sa densité énergétique. Pour ce faire, il doit être comprimé, le transformant en un état liquide. Or, l’hydrogène ne se liquéfie qu’à partir de -253° avec une pression de 1,0131 bar. Pour y parvenir, l’utilisation de réservoirs cryogéniques est indispensable.
« La liquéfaction de l’hydrogène est très compliquée. Il faut atteindre une température très proche du zéro absolu, -253 degrés. Et les difficultés augmentent considérablement lorsque l’on passe à un climat très froid. De plus, la liquéfaction du gaz naturel, descendant jusqu’à -160 degrés, est assez facile. », explique Cédric Philibert, analyste énergie et climat, associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Le transport maritime d’hydrogène liquide, une solution “non économique”
L’expert considère également qu’une telle opération est ” absolument pas économique ». « Les réservoirs sphériques pouvant contenir de l’hydrogène liquide sont extrêmement coûteux », explique-t-il. Un premier navire équipé d’un tel réservoir a déjà navigué dans les eaux japonaises. Mais sa capacité est encore très limitée avec seulement 75 tonnes d’hydrogène liquide à bord. Car même à l’état liquide, sa densité énergétique est inférieure à celle du pétrole.
« De plus, un pétrolier peut transporter 300 000 tonnes de pétrole. C’est au-delà de toute mesure. Il faudrait un nombre infini de navires pour transporter l’hydrogène liquide », développe. “Il faudrait multiplier les capacités des réservoirs par 100 pour que ce soit compétitif”abonde Pierre-Etienne Franc, fondateur de Hy24 et ancien responsable de l’activité mondiale hydrogène énergie d’Air Liquide.
Selon Cédric Philibert, l’alternative est de transporter de l’hydrogène incorporé dans des produits semi-transformés, comme l’ammoniac vert, le méthanol, le kérosène de synthèse et l’acier vert. Au lieu de transporter de l’hydrogène sous forme liquide par bateau, il serait plus pertinent pour les pays disposant d’importantes capacités de production d’hydrogène vert de fabriquer de l’ammoniac ou de réduire directement le minerai de fer à partir de cette molécule, puis d’exporter ces produits semi-finis. « Le transport d’ammoniac n’est pas nouveau. Nous expédions déjà 10 millions de tonnes par an, sur les mêmes navires que le gaz de pétrole liquéfié. Il suffit de descendre à -33 degrés. Par conséquent, des méthaniers pourraient être utilisés. Le minerai de fer peut être transporté sous forme de briquettes chaudes.explique Cédric Philibert.
Privilégier l’hydrogène incorporé dans les produits semi-finis
« Dans les pays qui pourraient devenir exportateurs, la vente de carburants dérivés serait le moyen de développer une activité économique basée sur leur avantage comparatif en termes de disponibilité des ressources »notez Inés Bouacida et Nicolás Berghmans, dans une étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Idri). La Namibie et l’Arabie saoudite se préparent déjà à exporter de l’ammoniac.
En revanche, sur des distances plus courtes, de l’ordre du millier de kilomètres, l’importation d’hydrogène pur par gazoduc pourrait être intéressante selon diverses études économiques, d’autant plus si les gazoducs initialement dédiés au gaz naturel sont modernisés pour abriter hydrogène. . « En Europe, les plaines à fort potentiel éolien à l’Est, éolien offshore au Nord ou solaire au Sud, en plus d’un parc nucléaire compétitif, qui est évidemment aussi une source de production à base d’hydrogène décarboné, ont un bon potentiel pour exporter de l’hydrogène par gazoduc”estime Pierre-Etienne Franc de Hy24.
Cédric Philibert tempère cependant l’importance de ces importations foncières à venir. « Je pense que nous surestimons grossièrement nos besoins en hydrogène vert. L’hydrogène vert sera utile pour l’industrie de la décarbonation, y compris la sidérurgie et la chimie, et le transport maritime et aérien, mais pas pour le transport terrestre, où l’hydrogène est beaucoup moins efficace que les systèmes alimentés par batterie., dit-il. Selon lui, le grand inconvénient réside dans le faible rendement énergétique du cycle de l’hydrogène, alors que les innovations autour des batteries devraient être considérablement développées. « Aujourd’hui, avec la même électricité de démarrage, un véhicule électrique à batterie parcourt trois fois plus de kilomètres qu’un véhicule à hydrogène »fait remarquer.
La stratégie européenne repose cependant largement sur l’importation de la molécule. Le plan RepowerEU, présenté par Bruxelles au printemps dernier pour se débarrasser au plus vite des énergies fossiles russes, prévoit 10 millions de tonnes d’hydrogène vert produit localement, mais aussi 10 millions de tonnes d’hydrogène importé d’ici 2030.
développer une « gagner en souveraineté » grâce à l’hydrogène
Or, pour l’Union européenne, cette ouverture aux importations d’hydrogène pose la question de l’impact de cette mesure sur son degré d’autonomie énergétique avec le risque de créer de nouvelles dépendances pour des secteurs industriels clés, note l’Iddri.
« Importer des énergies renouvelables sous forme d’hydrogène n’est pas synonyme de perte de souveraineté. Au contraire, il s’agit de développer une souveraineté d’accès. Il ne s’agit pas de recourir à 2 ou 3 pays producteurs d’énergie renouvelable, mais à une multitude de pays et de manières variées : hydrogène par gazoduc pour un accès continental ou méditerranéen, ou encore ammoniac et méthanol par voie maritime.répond Pierre-Etienne Franc. « Si demain nous n’avons pas accès à une énergie compétitive, cela constitue une menace pour la réindustrialisation du territoire. Ces dernières semaines, un tiers des capacités de fabrication d’ammoniac ont été fermées en Europe car l’énergie est trop chère.se souvient Pierre-Etienne Franc.
“Les énergies renouvelables devront se déplacer et l’hydrogène et ses dérivés en sont le meilleur vecteur”, il se défend en s’appuyant le dernier message du conseil de l’hydrogène, un lobby sectoriel regroupant 150 multinationales. Le rapport estime que sur les 660 millions de tonnes d’hydrogène nécessaires pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, quelque 400 millions de tonnes d’hydrogène devront être transportées sur de longues distances. Ainsi, entre 200 et 300 millions de tonnes d’hydrogène vert seront utilisées comme vecteur pour transporter les énergies renouvelables d’un continent à l’autre. Selon cette publication, le commerce international de l’hydrogène peut réduire le coût de la transition énergétique de 6 milliards de dollars.
Éviter une bombe climatique
Cependant, l’importation et l’exportation longue distance d’hydrogène ne peuvent contribuer à l’Accord de Paris que si ses émissions de CO2 sont strictement contrôlées. « Il serait contre-productif d’importer de l’hydrogène à forte teneur en carbone, gris ou bleu à faible taux de captage ou du méthane à forte émission en amont, ou par électrolyse à partir d’électricité à forte teneur en carbone »ainsi le signale Iddri.
Cependant, il y a un mois Les députés ont complètement supprimé les normes de certification environnementale auxquelles l’hydrogène importé devait être soumis, malgré le risque de concurrence déloyale. « L’hydrogène est indispensable pour tendre vers la neutralité carbone. Cela fait partie de la solution. Mais pour cela, il doit être très faible en carbone. Sinon, vous faites partie du problème.prévient Bertrand Charmaison, directeur d’I-Tésé, l’institut de recherche et d’études sur les économies d’énergie en ECR. Si la Commission et le Conseil européen ne corrigent pas la situation lors des trilogues, le risque est donc de créer une bombe climatique.
Un dernier point de vigilance concerne les enjeux de la répartition des ressources énergétiques. « Certains pays envisagés pour la production d’hydrogène par électrolyse qui disposent de systèmes électriques très carbonés, comme le Maroc ou l’Algérie, pourraient avoir un accès limité à l’énergie pour une partie de leur population., prévient ainsi l’Iddri. En d’autres termes, il faut s’assurer que les exportations d’hydrogène et de ses dérivés ne détournent pas les ressources électriques renouvelables ou nucléaires nécessaires à la décarbonation du système énergétique et à l’accès à l’énergie pour tous dans ces pays.
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