la tragédie de Pierre, son frère assassiné !

Pour bien comprendre de quoi nous parlons, il faut revenir, comme bien souvent, à la figure du père. Du fait de son histoire personnelle mêlée à la grande Histoire, celle héritée par Pierre, né le 22 juin 1944, et Jean-Jacques, né le 11 octobre 1951, est, en effet, bouleversante.

Son père, Alter Mojsze Goldman, est né en 1909 à Lublin, en Pologne. Naturalisé français en 1930, il s’engage dans les chasseurs d’Afrique, devient capitaine, puis s’installe comme tailleur à Paris. Pendant la guerre civile espagnole (1936-1939), il hésite à s’enrôler dans les Brigades internationales pour venir en aide au camp républicain. Et il a combattu pour la France dès le début de la Seconde Guerre mondiale, recevant même la Croix de guerre pour sa bravoure dans l’incendie. Démobilisé, il rejoint la résistance communiste après la rupture du pacte germano-soviétique en 1941. Avec son épouse, Janine Sochaczewska, également militante communiste et résistante, d’origine polonaise, ils accueillent Pierre peu après le débarquement du jour J. l’euphorie de la Libération et les tourbillons de la vie, le couple se sépare. Alter Goldman épouse, en 1949, une certaine Ruth Ambrunn, avec qui il accueille trois autres enfants, Évelyne, les émoustillés Jean-Jacques et Robert.

Placé dans un internat, le jeune Pierre est un rebelle précoce, révolté à la fois contre une mère trop aimante qui passe trop de temps dans sa Pologne natale, et contre un père à la personnalité plus que lourde. La suite est assez classique pour l’époque : le jeune homme délaisse ses études et se lance dans le militantisme. Mai 1968 est encore loin, mais le mécontentement étudiant couve déjà. Et comme il n’y a plus de véritable lutte digne de ce nom – affronter les matraques des CRS n’est pas tout à fait la même chose que tomber sous les balles de Franco ou d’Hitler – Pierre rejoint le radicalisme d’emblée. Alors vos coéquipiers ? Futurs ministres, chefs de parti ou patrons des médias qui ont marqué les grandes heures des années 1980 et 1990 : Serge July (l’un des fondateurs de Sortie), Bernard Kouchner (plusieurs fois ministres, de la Santé et des Affaires étrangères), Alain Krivine (l’un des créateurs de la Ligue communiste révolutionnaire)…

Entre 1966 et 1969, le militant d’extrême gauche est à Cuba, puis au Venezuela, où il passe un an avec la guérilla. Bref, il semble vouloir transformer une bagarre étudiante en véritable lutte armée.

Plans d’enlèvement, braquages…

Son séjour en Amérique latine l’a évidemment changé à jamais. C’est ainsi que Pierre Goldman est décrit par un de ses proches à l’époque, le sociologue Jacques Rémy, Hervé Hamon et Patrick Rotman dans son livre Génération (Seuil) : « C’est un enfant perdu, à la dérive, hanté par une sorte d’esthétique du suicide. Un autre camarade, Luc Rosenzweig, également journaliste à Sortie, va plus loin : “Ses amis s’inquiètent de sa double dérive, son virage vers la folie et son immersion dans les cercles du banditisme crapule. »

Un exemple ? Pierre aurait prévu de kidnapper Jacques Lacan, le grand gourou de la psychanalyse de l’époque, avant de se raviser au dernier moment… car il croisa son regard impérieux sur l’escalier menant à son appartement ! Il envisage alors l’enlèvement de l’écrivain Jean-Edern Hallier, avant de renoncer, une nouvelle fois. Mais dès la fin 1969, l’activisme politique quelque peu folklorique fait place au banditisme pur et simple.

“C’est probablement quelqu’un qui a compté, comme tous vos proches”, avoue Jean-Jacques à propos de son demi-frère.

Et Jean-Jacques Goldman dans tout ça ? Comment vit-il l’existence tourmentée de son demi-frère ? Lors d’un portrait consacré à ce qui reste l’un des chanteurs préférés des Français sur France 3, en juin 2018, il assurait : “C’est probablement quelqu’un qui a compté, comme toutes les personnes qui vous sont proches ou qui sont de votre famille parce que vous essayez de comprenez-les, vous vivez leurs paradoxes, leurs mystères. Et Pierre, c’est un mystère. J’étais aussi un peu aberrant dans la famille, dans le sens où politiquement j’étais musicien. Cela dit, j’étais intéressé par les tables rondes, les événements mondiaux, parce que c’était, dirons-nous, la culture familiale. Que ces choses sont exprimées en termes délicats…

Pierre Goldman semble rompre les derniers liens qui le lient encore à une vie normale. De septembre 1969 à janvier 1970, il cambriole une pharmacie et un magasin de haute couture à Paris, il braque un payeur de la Caisse des allocations familiales. Officiellement, aucun sang n’a encore coulé. Mais des liens s’établissent rapidement entre le braquage de la première pharmacie et un autre, le 19 décembre 1969, situé boulevard Richard-Lenoir et tenu par Simone Delaunay et Jeanne Aubert, toutes deux froidement assassinées. Dans la fusillade, un patron de passage a été grièvement blessé, tout comme un gardien de la paix, Gérard Couiner, qui avait tenté en vain de contrôler le bandit, lui valant une dernière balle tirée dans le ventre. Est-ce Pierre Goldman ? Voici toute la question.

Le 8 avril 1970, il est arrêté en possession d’un faux passeport vénézuélien, qui n’a jamais fait bonne figure devant la police. Lors de son premier procès, il a nié être le meurtrier des deux pharmaciens, avant d’admettre être l’auteur des trois autres braquages. Le doute existe : si certains témoins l’identifient comme le meurtrier du boulevard Richard-Lenoir, les tests balistiques sont loin d’être concluants.

Une affaire qui déchaîne les passions

À l’époque, Jean-Jacques était trop jeune pour être écouté, mais son père, Alter Goldman, insista : « Je suis un honnête homme. Je n’ai jamais compris Pierre. J’ai tout fait pour lui. Malheureusement, il a été traumatisé par son enfance. Il est né aux dernières heures de gloire de la Résistance lyonnaise. […] Enfant, Pierre était difficile. Instable. Brillant, mais incapable de passer une année scolaire dans le même établissement. J’ai consulté les psychiatres les plus éminents… » Le procès déchaîna les passions, Pierre Goldman recevant le soutien de l’intelligentsia de l’époque, Simone Signoret et Régis Debray en tête. Un soutien qui ne suffit pas à lui éviter, le 14 septembre 1974, d’être condamné à la réclusion à perpétuité.

Dès lors, la machinerie médiatique se met en branle et les pétitionnaires se multiplient : Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, ou encore la journaliste Françoise Giroud, nommée secrétaire d’État à la Condition féminine en juillet 1974 par le nouveau président, Valéry Giscard d’Estaing, auprès duquel il s’empresse de plaider sa cause… Le 20 novembre 1975, l’arrêt de la cour d’assises est cassé en cassation pour vice de forme et un deuxième procès public a lieu au printemps 1976. Pierre y fut brillamment défendu par Georges Kiejman, un avocat qui faisait partie du cercle restreint de François Mitterrand. Disculpé des meurtres des deux pharmaciens du boulevard Richard-Lenoir, il écope néanmoins de douze ans de prison pour ses trois autres agressions à main armée.

En octobre 1976, il est libéré sur parole et entame une carrière de journaliste dans Sortie, un journal dans lequel il n’a pas tardé à faire des étincelles, défiant la ligne du patron, Serge July (trop anti-israélien à son goût), et n’hésitant pas à se battre en pleine conférence de rédaction ! Poussé vers la sortie, le voleur vit alors de quelques dossiers et de ses livres, qui se vendent de moins en moins. Jusqu’au 20 septembre 1979, date à laquelle il reçoit sept balles dans le corps, en plein Paris, tirées par trois ou quatre hommes dont on ignore à ce jour l’identité…

Le 20 septembre 1979, Pierre Goldman est assassiné en pleine rue, à bout portant, dans le 13e arrondissement de Paris. Sa femme donne naissance à leur fils quelques jours plus tard.

Même si ce meurtre est rapidement revendiqué par un collectif de l’ombre appelé Police Honor. Puis un autre indice, plus officieux, a été évoqué, celui d’un certain marquis René Resciniti de Says, dit “Gustavo”, ancien mercenaire en Afrique, figure emblématique de l’extrême droite et peut-être un peu proxénète à ses heures perdues. . . . Il aurait avoué le crime peu de temps avant sa mort. C’est suffisant pour que la police prenne cette piste au sérieux, mais pas assez pour que cette hypothèse résolve l’énigme.

Quoi qu’il en soit, Jean-Jacques, le benjamin qui commence tout juste à occuper le devant de la scène, et son aîné qui se délectait de l’ombre, ont toujours entretenu des liens, selon Jean Bender, le biographe du musicien : « Il se croit coupable, il ne l’excuse pas, mais considère normal d’entretenir des relations avec lui. Quoi qu’il ait fait, il est toujours son demi-frère et elle l’aime. Il le prend pour un cerveau, un type avec une vraie puissance intellectuelle. »

A noter que Jean-Jacques était l’un des rares à rendre régulièrement visite à Pierre lorsqu’il était en prison. Jusqu’à ce que la mort les sépare…

Églantine LEFEBVRE

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