Une dizaine de sites français figurent parmi les lauréats des Projets Importants d’Intérêt Européen Commun (PIIEC) dédiés à l’hydrogène. Emmanuel Macron veut investir 9 milliards d’euros pour que la France devienne un leader de l’hydrogène décarboné.
“Nous bénéficions d’une très forte dynamique, pas un jour ne passe sans qu’on ne parle d’hydrogène.” Philippe Boucly se réjouit de la période faste que traverse la filière française de l’hydrogène depuis plusieurs mois, voire des années. Le président de France Hydrogène donne en exemple le nombre de membres de son association qui est passé de 120 en 2019 à 450 aujourd’hui, des grands groupes aux start-up et PME en passant par les collectivités territoriales.
Pour illustrer le changement de dimension de l’hydrogène français, il suffit de remonter au début du premier mandat d’Emmanuel Macron. Il y a cinq ans, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolás Hulot, prévoyait un investissement de 100 millions d’euros dans le développement de cette énergie. Quatre ans plus tard, le chef de l’Etat a porté la dotation de son plan hydrogène à plus de neuf milliards d’euros en dix ans dans le cadre du projet France 2030 pour atteindre une capacité installée de 6 500 mégawatts en électrolyseurs à cette date.
Producteurs d’électrolyseurs, réservoirs et piles à combustible
Et maintenant on en sait plus sur les projets qui bénéficieront de cette enveloppe. Cet été, la Commission européenne a annoncé les 41 lauréats du premier programme PIIEC (Projets importants d’intérêt européen commun) dédié à l’hydrogène dans les transports et baptisé “Hy2Tech”. Dix d’entre eux sont français et bénéficieront ainsi d’un financement public de 2 100 millions d’euros, auxquels il faut ajouter 3 200 millions d’euros d’investissements d’agents privés.
Ces “gigafactories” seront installées dans pas moins de sept régions françaises, dans toute la France, et généreront plus de 5.000 emplois directs selon les chiffres communiqués fin septembre par Elisabeth Borne. Ils sont spécialisés dans la production d’équipements autour de cette « énergie de demain » comme les électrolyseurs (McPhy, Elogen, John Cockerill), les réservoirs à hydrogène (Plastic Omnium, Faurecia), les moyens de transport (Alstom pour les trains ou Hyvia pour les voitures) ou encore piles à combustible (Symbio, Arkema).
“Faire partie de ce programme nous permet d’aller plus vite”, insiste David Holderbach, PDG de la société Hyvia qui produit des véhicules utilitaires légers à hydrogène. Nous sommes nés en juin 2021 et nous avons la première voiture homologuée 15 mois plus tard. Sans ces aides, je pourrais produire une voiture en trois ans…”
La filiale de Renault concentrera ses investissements sur l’usine de Flins (Yvelines) où elle entend multiplier par dix sa production de piles à combustible (actuellement environ 1 000 par an), démarrer les bornes de recharge et installer un électrolyseur pour tester ces équipements à partir de 2023. L’enthousiasme est le même du côté de la société Elogen, qui va construire une usine à Vendôme (Loir-et-Cher) dans laquelle elle produira à partir de 2025 des “batteries”, le coeur des électrolyseurs. « En plus de financer en partie le nouveau site, le PIIEC va également nous aider à accélérer notre R&D pour développer les électrolyseurs à batterie de grande puissance de demain », explique Jean-Baptiste Choimet, PDG.
La création d’un écosystème.
L’une des forces de la filière hydrogène française est sa capacité à stimuler les synergies entre tous ses acteurs, quelle que soit leur taille. Ainsi, la plupart des lauréats Hy2Tech sont de grandes entreprises ou des structures qui apparaissent dans de grands groupes, mais certains sont de simples PME comme Elogen ou McPhy qui vont développer des électrolyseurs alcalins de nouvelle génération près de Belfort.
Surtout, des partenariats se nouent entre les lauréats eux-mêmes. Par exemple, Symbio a passé une commande importante auprès d’Elogen pour un électrolyseur produisant une tonne d’hydrogène par jour et qui sera installé sur son nouveau site de Saint Fons (Rhône). Par ailleurs, les réservoirs utilisés par Hyvia sont fournis par Faurecia et l’entreprise envisage également de travailler avec Plastic Omnium qui a choisi l’Oise pour construire une usine de réservoirs à hydrogène. « Nous développons un écosystème », résume David Holderbach, qui a également entamé des discussions avec des fournisseurs en vue de partenariats autour de la pile à combustible.
“Tous les acteurs de l’hydrogène se parlent très ouvertement, alors que dans le secteur automobile il y a beaucoup moins de collaboration, précise le PDG d’Hyvia. On est peut-être concurrents sur certains aspects, mais on se parle quand même car on peut avoir intérêt à racheter le matière première”. matériel ou compresseurs ensemble pour améliorer la qualité et réduire les coûts.
La filière remonte aussi un peu plus en amont à travers « Hy2Use », un deuxième PIIEC qui doit permettre de stimuler l’approvisionnement en énergies renouvelables alors qu’encore 90 % de l’hydrogène est produit à partir d’énergies fossiles. Ce PIIEC a notamment dédié deux projets français d’envergure portés par des acteurs majeurs du monde de l’énergie ou du gaz. Le premier s’appelle Air Liquide Normand’Hy, est issu d’un partenariat avec Siemens Energy et vise la construction d’un électrolyseur de 200 mégawatts dans la zone industrielle de Port-Jérôme. Le second, intitulé Masshylia, est tout aussi impressionnant et est piloté par TotalEnergies et Engie. Il sera composé d’un parc de panneaux photovoltaïques d’une centaine de mégawatts accompagné d’un électrolyseur de 40 mégawatts.
“C’est toute la chaîne qu’il faut tirer”
Tout en se réjouissant de cette accélération significative, la grande majorité des acteurs français de l’hydrogène s’accordent à dire qu’elle reste focalisée sur la production, en amont. « Il manque une chose importante : c’est l’accompagnement des usages, souligne Philippe Boucly. Quand on est une commune ou un transporteur, on nous dit qu’on pollue beaucoup, mais un bus à hydrogène coûte deux fois plus cher qu’un modèle qui roule au diesel. Il en est de même pour les VUL à hydrogène, qui sont trois à un quart de fois plus chers que les véhicules à essence, même s’il existe des rabais.
“C’est toute la chaîne qu’il faut tirer, appuie le président de France Hydrogène. C’est au niveau de l’aval qu’il faut subventionner davantage car si on tire les usages, on tire tous les industriels”.
Un constat que l’on peut observer chez Jean-Baptiste Choimet lui-même : “Aujourd’hui, ce qui est délicat dans l’hydrogène, c’est qu’on a des gens qui voudraient produire de l’hydrogène avec des électrolyseurs mais ne sautent pas le pas car les volumes ne sont pas disponibles, les coûts sont élevé et, d’autre part, il y a des entreprises en amont comme la nôtre qui manquent de débouchés et font face aussi à des coûts importants, une manière d’inciter les industriels à franchir le pas même si le marché de l’hydrogène n’est pas encore développé.”
Pour cela, l’enjeu est justement de “changer d’échelle” selon Philippe Boucly, d’où l’orientation vers des “gigafactories”. “La firme McKinsey estime que nous sommes le leader mondial de l’hydrogène avec l’Allemagne, la Chine et la Corée du Sud”, ajoute-t-il. Les deux derniers PIIEC dédiés à l’hydrogène seront encore annoncés prochainement et porteront respectivement sur les infrastructures de production et la mobilité hydrogène.
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