A l’occasion de la Journée de la Santé Mentale, le Dr Luis Alvarez, psychiatre et pédopsychiatre à l’Hôpital Américain de Paris, explique les bienfaits de la “thérapie comportementale dialectique” (TCD). Une psychothérapie utilisée aujourd’hui dans 23 pays et quasiment inconnue en France.
Fête parisienne. Il utilise la thérapie comportementale dialectique (TCD) pour traiter ses patients. Comment avez-vous découvert cette forme de psychothérapie ?
Luis Alvarez Dr. Je suis de nombreuses femmes enceintes atteintes d’un trouble de la personnalité borderline à l’American Hospital. Avec mon équipe j’ai constaté que nous parvenions à stabiliser l’humeur de la patiente pendant sa grossesse, mais que nos systèmes de soins (psychothérapie, pharmacologie) étaient très insuffisants après la naissance de l’enfant (post-partum), et dans la relation avec l’enfant. J’ai donc cherché d’autres méthodes et j’ai ainsi découvert que le TCD était particulièrement indiqué dans cette pathologie difficile à traiter. J’utilise cette thérapie avec mes patients depuis quatre ans et je n’y retournerais pour rien au monde !
Dans quelles autres pathologies cette thérapie est-elle indiquée ?
La TCD traite également les troubles anxieux et de l’humeur (y compris la dépression majeure et le trouble bipolaire), syndrome de stress post-traumatique, addictions, troubles alimentaires et troubles de l’attention. Il n’est pas efficace dans les cas d’autisme ou de psychose.
Ce n’est pas l’inconscient qui mène la danse, c’est l’émotion !
Pouvez-vous expliquer en quoi cette psychothérapie est une approche différente de la psychanalyse ou des thérapies cognitivo-comportementales ?
La TCD fait partie des thérapies de la “troisième vague”, dans lesquelles l’émotion joue un rôle central. Le changement de paradigme est là. Pour la psychanalyse, c’est la vie inconsciente qui nous gouverne. Pour les thérapies cognitivo-comportementales de deuxième vague, c’est la pensée, la cognition. Pour la TCD, thérapie comportementale de troisième vague, c’est l’émotion qui mène la danse ! Cette thérapie traite la « dérégulation émotionnelle ».
La psychanalyse est un outil formidable, mais il est insuffisant
Qu’entendez-vous par “dérégulation émotionnelle” ?
C’est le mécanisme par lequel une émotion intense (hyperémotivité) s’active, faisant terriblement souffrir la personne, sans pour autant avoir de lien avec la réalité des faits. Par exemple, une personne qui fait une crise de panique est convaincue qu’elle va mourir alors qu’aucun événement réel ne correspond à cette émotion. Le problème est qu’une émotion dérégulée produira une pensée dérégulée, ce qui conduira à des comportements problématiques chez la personne au fil du temps, aggravant la situation. La psychanalyse est un formidable outil de connaissance de soi, mais il est insuffisant. Ce n’est pas parce qu’on fait l’archéologie de son passé qu’on cesse d’être émotionnellement activé. En traitant cette difficulté ou incapacité à gérer ses émotions et ses comportements, malgré les efforts, la TCD soulage d’abord la personne de sa souffrance, ce qui lui permet ensuite d’apprendre à ne plus souffrir. C’est pourquoi cette thérapie est très efficace!
Le patient doit être l’acteur de sa journée de soins, c’est lui qui a le pouvoir
Comment se passe la thérapie ?
C’est un dispositif très structuré, validé scientifiquement et soutenu par une équipe de thérapeutes. Comprend des séances de thérapie individuelles et de groupe et un coaching téléphonique. C’est un véritable investissement de la relation de soin car le patient doit être acteur de son parcours. Les thérapeutes transmettent une série d’outils, mais c’est le patient qui a le pouvoir. Au cours d’une première phase, qui dure entre six et douze mois, les patients sont orientés vers la sortie de la souffrance et l’amélioration de la qualité de vie. Ils apprennent, selon leurs besoins, des habiletés de régulation émotionnelle qu’ils n’ont pas acquises durant l’enfance. Ils appliquent des techniques pour faire taire le système sympathique (qui active les émotions) et renforcer le système parasympathique (qui nous permet de nous concentrer, de trouver des solutions). C’est de la neuroscience appliquée au quotidien ! Lorsqu’une personne anxieuse dit : « J’ai senti l’émotion prendre vie, mais cette fois j’ai surmonté la crise de panique », elle la vit vraiment comme une révélation. Quand un garçon de 8 ans, dont le comportement terrifiait sa famille et sa classe, vient en consultation et me dit : « Je ne suis plus esclave de la colère », c’est très émouvant.
En Allemagne, cette thérapie est développée et même remboursée
Quelle est la deuxième phase de soins ?
Deuxièmement, en thérapie individuelle, nous traitons tout ce qui est traumatisant. Nous construisons avec le patient de nouveaux modes de fonctionnement qui remplacent les comportements problématiques forgés au fil du temps. Nous vous accompagnons vers l’atteinte de vos objectifs, c’est-à-dire vers ce qui donne un sens à la vie. Alors que le patient souffrait de crises d’angoisse, d’évitement, d’alcoolisme ou de scarification, il lui était très difficile d’atteindre ses objectifs. C’est pourquoi on lui apprend d’abord à ne pas s’enfermer dans la souffrance.
Pourquoi ce dispositif de soin, implanté notamment aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, n’est-il pas développé en France ?
Premièrement, l’institution qui supervise la certification des médecins et des thérapeutes, basée à Seattle, est très exigeante. La formation est ardue et représente un coût. Ainsi, la France est encore très méfiante vis-à-vis du monde anglo-saxon. Il existe des obstacles d’ordre culturel dans la conception du soin mental, qui est encore, dans notre pays, majoritairement psychanalytique. Le mouvement des thérapies cognitives et comportementales s’est amplifié ces quarante dernières années, mais nous sommes en retard sur les plus récentes, celles de la « troisième vague ». En Allemagne, cette thérapie est développée dans tout le pays et est même remboursée par la sécurité sociale ! Je trouve regrettable qu’en France, des patients souffrants soient privés d’une méthode validée scientifiquement.
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