INTERVIEW. Patrick Sébastien : “Si j’avais vraiment de la rancune, oui, je me tirerais dessus !”

l’essentiel
Une éviction de France Télévisions, un cancer, une séparation : le producteur du plus grand cabaret du monde vient de connaître de nouvelles épreuves, qui se sont ajoutées à ses blessures passées. Malgré tout, le saltimbanque fait preuve d’un enthousiasme sans faille. Comment renaître chaque jour, parfois du pire ? Patrick Sébastien nous donne sa leçon d’optimisme et d’espoir. A sa manière, c’est-à-dire sans aucun filtre….

Comment allez-vous ?

Je vais bien, mais j’ai passé un mauvais moment… Ça a commencé il y a deux ans avec mon exclusion de France 2. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est de ne pas arrêter la télé, parce que ça m’a fait mal. Chaque fois que je suis moins intéressé, c’est comme ça. Mon employeur s’est comporté comme un pervers narcissique, faisant tout son possible pour m’humilier, me rabaisser. Alors après ça, après 30 ans de télé où tu as donné le maximum, tu as touché un large public, quand on te balance comme de la merde, sans un mot, sans même un SMS, tu te mets à douter. Je pensais que je ne valais plus rien… Heureusement, le public m’a montré le contraire lors de tous les galas que j’ai fait ensuite. Cet été j’en ai fait une quinzaine, dont l’ouverture de la foire de Nîmes, et j’ai vu une horde d’enfants chanter mes chansons avec joie. Ils ne se soucient pas de l’homme blanc de plus de 50 ans (1), ils ne voient qu’un vieil homme qui a son esprit ! Ensuite, un problème de santé quand on m’a découvert par hasard en début d’année que j’avais un cancer du rein. Grosse opération (il montre sa cicatrice), mais sans chimiothérapie. Et ça se juxtapose à la séparation d’avec ma femme, après 30 ans de vie commune… Une séparation qui se passe bien. Mais ce n’est pas neutre et ma fille est au milieu.

Comment avez-vous réussi à passer à autre chose ?

J’applique ce que ma mère m’a toujours dit : “On ne renaît jamais dans le ressentiment et la vengeance.” Alors aujourd’hui, je n’ai pas de haine. Je souhaite une bonne audience à France 2 et je fais tout pour que ma femme soit heureuse dans sa nouvelle vie. Je m’assieds sur mon ego et ma fierté. Quant à la maladie, j’ai eu un énorme coup de chance. Autour de moi, il y en a qui bave beaucoup plus. Et je cite encore ma chère mère : « Un drame n’est pas la fin de quelque chose, c’est le début d’autre chose.

Est-ce une thérapie de s’exposer ainsi dans un livre ?

L’une des raisons de guérir, c’est d’écrire ! L’écriture, même si vous n’êtes pas lu, est pour moi la première thérapie. Je ne prends pas de tranquillisants, je ne bois pas et je n’ai pas de psychiatre. Ma sortie est de créer, même s’il n’y a pas de succès à l’arrivée. Si ce livre ne fonctionne pas, qu’il en soit ainsi. L’important est de faire avancer les choses. Ma mère m’a appris dès l’âge de 12 ans le sens du travail. Quand j’étais peintre en bâtiment, mon patron m’a fait remarquer que je n’avais pas peint le coude du radiateur, en dessous, que personne ne voit. Avec ce conseil qui me guide toujours : “Tu ne le fais pas pour le client, tu le fais pour toi !” Si vous ne finissez pas votre travail, vous ne finissez pas votre vie. J’ai donc eu l’opportunité de réaliser mon rêve de devenir artiste. Et surtout j’ai vu mes idoles. Enfant, De Funès, Ventura ou Delon étaient des dieux vivants. Ils sont devenus amis… Quand De Funès vient me voir sur scène, pour moi c’est irréel ! Moi le bâtard, j’ai embrassé Bardot…

Êtes-vous un écorcheur vif, rétrospectif, nostalgique ?

Écorché vif oui, rétrograde et nostalgique non. Je ne pense pas que c’était mieux avant, je pense que c’était bien. Je préfère le GPS aux cartes routières mais je déteste les réseaux sociaux où n’importe quel connard peut se défouler anonymement. La vérité est qu’avant, quand vous étiez malheureux, vous ne le saviez pas. Ce n’est pas tous les jours au JT de 13h qu’un mec arrive pour te le dire et te faire peur.

La mort de votre fils a-t-elle changé votre mode de vie ?

Le jour de sa mort, je suis mort aussi. Cet événement a justifié tous mes excès par la suite. Je suis par exemple un libertin libertin. Vous ne pouvez pas savoir combien d’entre eux ont perdu un être cher ! Ces gens ont simplement compris que la vie devait être vécue. Et ne vous souciez pas de la moralité. Dans ma vie, j’ai été agacé dix fois plus par des gens qui ont de la morale que par ceux qui n’en ont pas. Les méchants, les véreux sont souvent ceux qui sont enfermés dans la loi. J’aime les marginaux, les gens différents, avec soulagement. Et cela m’a beaucoup aidé.

Avez-vous pensé au suicide à ce moment-là ?

Le premier réveillon de Noël après sa mort, je suis allé sur sa tombe. J’avais l’arme dans ma poche. Je l’ai toujours de toute façon. Cette année, le jour de la Saint-Valentin, il pleuvait. A 68 ans je me retrouve seul, malade, on m’a viré… J’ai tellement d’années heureuses derrière moi que j’en doute. Quand on a fait un repas avec du foie gras et du champagne, on ne veut pas se retrouver avec un cupcake pourri ! Mais je crois que tout est écrit et que vous ne vous battez pas contre l’inévitable. Ma constitution mentale, basée sur la générosité et la bienveillance, me donne de la force. Je suis calme, sans nœud au ventre. Si j’étais vraiment rancunier, ouais, je me tirerais dessus. Si un jour il y a suicide, c’est ce qui était inévitable.

Si on touche intime, tu revendiques le droit de te comporter comme un “gros con”…

Tu me dis que je suis dégoûtant, tu me critiques, tu me surprends avec mon amant, je m’en fiche je suppose. Mais dans les peines les plus violentes, tu n’as vraiment pas besoin de me chercher. Quand je perds mon fils, puis ma mère, ma douleur est immense. Pour les funérailles de mon fils, les paparazzi ont essayé de s’approcher… Nous les avons chassés et nous nous sommes battus. Une douleur, c’est respectable !

Y a-t-il encore en vous cette haine de l’intelligentsia bien intentionnée ?

Ces types m’ont méprisé pendant cinquante ans ! Mais c’est de ma faute, car je suis toujours resté moi-même et je ne suis jamais devenu ce qu’ils voulaient que je sois. Je ne cherche pas votre reconnaissance. Je veux ça des bonnes personnes. Quand un critique Libé m’insulte, je m’en fous ! Mais si un travailleur s’éloigne de moi, cela m’affecte et je me battrai pour le rattraper. Ma mission est d’apporter le bonheur. Mais au fond, je pense que nous sommes généreux parce que nous sommes égoïstes. Être généreux me sauve de la culpabilité, donc de la souffrance…

Une générosité qui vous a amené dans votre carrière à produire des artistes qu’on n’attendait pas…

Quand j’ai découvert, il y a 30 ans, une cassette pourrie de Dupontel jouant du Rambo, j’ai été bluffé et j’ai décidé de la produire, une première pour moi (ce fut plus tard pour Canteloup). Ce mec est un génie ! Les paillettes, ce n’était pas du tout son truc. Il était avec Antoine Vitez (2) à l’époque et il a mis du dentifrice sur son pain, car ça lui donne faim. Il dit lui-même, lorsqu’il parle de notre rencontre, qu’il a rencontré un type bienveillant. Un jour, un journaliste l’a mis en relation pour essayer de lui faire dire du mal de moi. Il a simplement répondu : « Si Sébastien tue quelqu’un, il peut amener le corps chez moi. « Tout est dit.

1. Delphine Ernotte, PDG de France Télévisions, a utilisé cette image pour justifier son exclusion.
2. Antoine Vitez est l’un des grands réalisateurs français.
3. La tournée du grand cabaret commence le 25 novembre.

Lire “Vivre et renaître chaque jour” (XO Editions) 332 pages 19,90 euros

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