Le musicien de 81 ans s’est installé dans la capitale pour trois concerts au Grand Rex. Nous y étions.
Arrivé à pied vers 18h30 Laissé un peu à l’écart du Grand Rex par le chauffeur de son van, Bob Dylan a parcouru les quelques mètres jusqu’à sa voiture à l’entrée du salon parisien sous les yeux d’une flopée de fans. . Mais masqué, casquette sur la tête, la foule qui l’attend le reconnaît à peine. Paris s’est réuni hier soir à Paris, eh bien, avec Bob Dylan, absent depuis 2019 pour les raisons que tout le monde connaît mais avec un nouvel album à défendre, le somptueux “Rough and Rowdy Ways”. Et Sa Sainteté veut clairement le faire savoir au public, puisque sa tournée s’intitule cette fois la “Rough and rowdyways tour 2021-2024”.
Exit l’Endless Tour (les puristes savent qu’il n’a jamais vraiment existé), alors place à un homme de 81 ans qui se fait un devoir de bannir les téléphones de ses performances. Chaque spectateur doit placer son téléphone portable dans une poche scellée afin de ne pas déranger la foule nombreuse. Et à 20h30 précises, l’obscurité se transforme en Grand Rex complet, ovationnant l’étoile du soir. Caché derrière son piano droit, Bob Dylan se lance avec “Watching the River Flow”, fabuleuse histoire d’un homme désabusé qui regarde le monde passer. Cinq musiciens l’entourent : les guitaristes Bob Britt et Doug Lancio, le batteur Charley Drayton, le multi-instrumentiste Donnie Herron et le bassiste Tony Garnier, l’un de ses plus anciens collaborateurs de scène, à ses côtés depuis 1989. Il faut du temps pour la voix du patron pour atteindre son plein potentiel.
Bob Dylan ne refait plus jamais la même version
“Vous suivrez très probablement votre chemin (et j’irai le mien)” suit. Ce classique “Blonde on Blonde” se transforme en une ballade country, méconnaissable à première vue. Dylan a cassé la structure du chœur pour lui donner un autre air. Et c’est ça qui est merveilleux avec cet homme : il ne refait jamais la même version, il s’en tient rarement à l’original, celui qui a été enregistré entre les quatre murs d’un studio. Bob Dylan fait évoluer la matière musicale et adapte son phrasé, dans un sens salvateur “celui qui m’aime me suit”.
Ce soir, contrairement aux tournées précédentes, il n’y aura pas de chansons qui ont trouvé un écho auprès du grand public. Non, sans concessions ici il chante « Contengo multitudes », le premier extrait de « Rough and Rowdyways » et la première claque en plein visage. Dylan est un conteur parfait, un homme de mots et d’images. Sur des rythmes lents, il vous emmène dans son voyage spatio-temporel. Sa voix est claire, précise, évidemment nasillarde. Mais terriblement émouvant.
Dans cet autoportrait musical, Dylan énumère les facettes de l’homme qu’il était, de l’homme qu’il est aujourd’hui, citant Anne Frank, Indiana Jones et « British bad boys The Rolling Stones » dans la même phrase. Paris est prêt à lui faire une standing ovation à tout prix. Mais Robert Zimmerman ne fait aucune déclaration à son public transpercé. Parfois, il s’éloigne de son piano pour passer quelques secondes au milieu de la scène. Sa démarche boiteuse est préoccupante, mais on sent que l’homme est heureux.
C’est pourquoi lorsque le public reconnaît « Quand je peins mon chef-d’œuvre », une pépite des années 70, il se réjouit. “Black Rider” fait mouche, là aussi difficile de ne pas voir une autre forme d’autoportrait quand Dylan chante “Tu ferais mieux de sceller tes lèvres si tu veux rester dans le jeu” – lui qui n’a donné qu’une seule interview pendant dix ans . Ce soir aussi, Dylan chante de mieux en mieux. Il se met au service de ses textes récents, comme s’il avait besoin de bien clarifier son propos, lui qui rend hommage à Frankenstein dans “My Own Version of You” ou se prend pour Jules César dans “Crossing the Rubicon”. Si “To be alone with you”, autre agréable incursion dans les ruelles de son répertoire des années 60, vous donne une pause, frappez “Key West (Philosopher Pirate)”, une longue ballade mélancolique, une ode à “l’endroit où sois si tu cherches l’immortalité”. Dylan fait ici résonner “Kerouac” avec “Railroad track” et c’est toute une Amérique qui s’invite devant des spectateurs passionnés. Rarement aura-t-on vu une salle aussi attentive à son idole, comprenant son message , sans le mettre au défi de revendiquer “Comme une pierre qui roule” ou “comme une femme”. Dylan s’en rend-il compte quand lui et son groupe sortent une version abrasive de “Gotta Serve Somebody” ?
Un solo de guitare sorti de nulle part
Le Grand Rex est emporté par la puissance du riff, par un solo de guitare sorti de nulle part. Les esprits se calment avec « J’ai décidé de me donner à toi », magnifique ballade mystique. Dylan se prend-il pour une femme dans ce texte où il interpelle “l’homme voyageur” ?
Encore une fois, chacun est libre d’imaginer ce qu’il veut, pourvu qu’il se laisse bercer par cette ode malicieuse à l’amour. À la fin, Dylan aura interprété neuf extraits de “Rough and Rowdy Ways”, laissant malheureusement de côté les 17 minutes de “Murder Most Foul”. On l’avait rarement vu aussi impliqué, récitant parfois au lieu de chanter, les yeux rivés sur ses derniers textes. Au piano, le chanteur s’amuse, joue fort et adapte les mélodies de la guitare à son clavier. C’est déroutant, parfois maladroit, mais diablement jouissif. Après “Goodbye Jimmy Reed” l’artiste présente ses musiciens -on se souvient aussi qu’il a remercié le public à trois reprises entre deux titres-. “Chaque grain de sable” clôt la soirée. La chanson cachée dans le médiocre “Tiro de amor” s’est imposée au fil des ans comme l’une de ses plus belles ballades. C’est une belle façon pour Dylan de rendre hommage à son propre répertoire. Paris est sous le charme, j’aimerais l’entendre encore et encore. Mais l’homme disparut dans l’obscurité, après un bref salut. Fidèle à sa légende, totalement imprévisible et magnifiquement exemplaire.
Setlist du 11 octobre, Paris, Le Grand Rex
1/ Regarder couler la rivière
2/ Très probablement, vous passerez votre chemin et je ferai le mien
3/ Je contient des multitudes
4/ Faux prophète
5/ Quand je peins mon chef d’oeuvre
6/ Cavalier noir
7/ Ma propre version de toi
8/ Je serai ton bébé ce soir
9/ Franchir le Rubicon
10/ Être seul avec vous
11/ Key West (philosophe pirate)
12/ Je dois servir quelqu’un
13/ J’ai décidé de me donner à toi
14/ Cette vieille magie noire
15/ Mère des Muses
16/ Au revoir Jimmy Reed
17/ Chaque grain de sable
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