Si la voiture électrique est utile à la transition énergétique, elle n’est pas sans défauts et ne doit pas faire oublier l’impératif de sobriété dans les transports.
Le 8 juin 2022, le Parlement européen a voté l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves en 2035 sur son territoire. Cette mesure s’inscrit dans le cadre des objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) avec des échéances de -55% en 2030 et de neutralité carbone en 2050.
Avec cette décision, les politiques européennes promeuvent le véhicule électrique (VE) comme la solution pour réduire les émissions de GES dans le secteur des transports. Vente VE aujourd’hui augmente presque exponentiellement représentant près de 10 % des ventes de voitures particulières en Europe. Cette échéance de 2035 semble donc en phase avec l’évolution actuelle du marché automobile et l’urgence climatique.
Cette marche forcée laisse cependant une impression de fatalité et, finalement, une solution trop évidente à des problèmes planétaires aussi complexes. Il faut être conscient des conséquences environnementales, mais aussi des enjeux économiques et sociaux.
La pollution des voitures, au-delà du pot d’échappement
D’un point de vue environnemental, de nombreuses études se sont focalisées sur la comparaison entre les émissions de GES de la voiture thermique et ceux de son équivalent électrique. Les émissions pendant la phase d’utilisation de la voiture électrique dépendent directement du niveau d’émission du mix électrique utilisé pour recharger les véhicules.
Dans le cas de la France, la production d’électricité est bas carbone car fortement nucléarisée, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays européens. La construction du VE et surtout sa batterie est très émettrice de GES, les bénéfices environnementaux n’apparaissent que si la voiture roule assez longtemps. Cela ne facilite pas la diffusion des messages de sobriété, mais c’est un levier important pour l’atténuation du changement climatique.
En ne sélectionnant que les émissions rejetées sur le territoire, les méthodes de comptabilisation du carbone ne sont pas adaptées aux solutions induisant des pollutions hors du territoire national. Avec ces options comptables, le VE semble être très efficace pour réduire l’empreinte carbone nationale… La volonté de l’adopter en France est donc compréhensible, mais sa vertu ne s’applique pas à l’échelle planétaire.
Outre les problèmes climatiques, l’interdiction de vente des véhicules thermiques en 2035 doit répondre au problème de la qualité de l’air présent dans la plupart des grandes villes du monde avec impacts sur l’économie locale et la santé publique.
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Le secteur des transports étant une source majeure de cette pollution, le VE représente une alternative pour réduire ces émissions, une réduction qui continue cependant à être mesurée car les particules liées à l’abrasion des pneus, des freins et de la route reste fort.
En imposant des zones à faibles émissions, de nombreuses villes européennes obligent les propriétaires de véhicules polluants à acheter une voiture plus récente qui émet moins de polluants locaux, potentiellement un véhicule électrique.
Suppression des taxes sur le pétrole et aide pour les véhicules électriques
La révolution électrique du parc automobile d’ici 2035 va secouer tout le système économique autour de la route. Avec la réduction de la consommation des énergies fossiles, la collecte de la Taxe sur la Consommation Intérieure des Produits Energétiques (TICPE) va diminuer.
Cependant, cette taxe qui a généré 33,3 milliards d’euros en 2019 il est essentiel pour les budgets de l’État et des collectivités locales. Remplacer la TICPE par une taxe sur l’électricité pourrait compenser une partie des pertes fiscales, mais cela toucherait tous les ménages, y compris ceux qui se déplacent le moins en voiture.
Le système de subventions mis en place (prime et prime à la conversion), qui a largement contribué au niveau actuel d’électrification, coûtera de plus en plus cher. En 2020, il représente 700 millions d’euros pour une part de marché de 20 %, y compris les véhicules hybrides. En comparaison, le plan « vélo et mobilités actives » 2018 prévoit 350 millions d’euros sur sept ans pour les aménagements cyclables.
Les avantages fiscaux et les subventions à l’achat d’un véhicule électrique profitent désormais à davantage d’agglomérations, qui adoptent plus rapidement cette technologie, du fait de conditions favorables. Pourtant, les zones rurales et périurbaines posent un défi de taille dans cette course à l’électrification, puisque leurs habitants n’ont d’autre choix que d’utiliser la voiture.
Des marchés sous tension et des coûts très incertains
Dès lors, l’Etat sera fortement sollicité pour accompagner les entreprises et les particuliers dans cette transformation, reste à savoir quelle option politique sera prise pour redistribuer ce coût aux contribuables. Malgré l’installation de nouveaux groupes électrogènes, l’augmentation de la demande gonflera fortement la Facture d’électricité françaisesurtout si le secteur résidentiel passe aussi à l’électricité pour le chauffage.
A l’échelle mondiale, comme l’or noir, l’or blanc, le lithium et une grande partie des métaux sont devenus des ressources stratégiques pour soutenir la mobilité électrique. Cependant, la forte demande et le déséquilibre géographique des gisements et de l’exploitation génèrent des tensions qui vont fragiliser l’offre et les prix des matières premières.

L’électrification de l’Europe dépendra donc des importations de ces matières premières, ce qui laisse planer le doute sur la capacité d’approvisionner l’ensemble du marché européen et mondial en véhicules électriques à un prix raisonnable.
Un pansement climatique, loin du remède écologique
L’électrification du parc automobile est une course hâtive, reposant sur une innovation qui ne remet pas en cause le fonctionnement de notre société. Si le VE fait partie de la stratégie de neutralité carbone à l’horizon 2050, il ne suffira pas et continuera d’entretenir un système instable dépendant d’une forte artificialisation du territoire et de la consommation de ressources et d’énergie abondantes.
L’urgence climatique, avec des objectifs ambitieux pour 2030 et 2050, rend solvables des solutions de court terme, comme les véhicules électriques, qui ne seront plus viables en 2100, notamment en raison du manque de ressources naturelles. au-delà de 2050. En exagérant ses bénéfices écologiques, le véhicule électrique étouffe les actions potentielles pour changer notre système basé sur la voiture. Promouvoir la sobriété reste la solution la plus sûre et la plus naturelle avec de multiples bénéfices environnementaux et sociaux.
Pourtant, le système de mobilité, l’aménagement du territoire et les modes de vie sont pris dans une inertie de plusieurs décennies axée sur la vitesse et la consommation. Malgré l’urgence d’en finir avec ce modèle d’écocide, les réflexions sur l’avenir des territoires automobiles, entre centres urbains et zones rurales, continuent d’être lentes.
La fin de la voiture thermique en 2035 ne doit pas être synonyme d’une substitution systématique à une voiture électrique, mais plutôt d’un profond questionnement sur sa place dans notre imaginaire et dans notre quotidien.
Alexis Poulhes Elle est professeur à l’École des Ponts, ingénieur de recherche au Laboratoire Ville Mobilité Transport, Ecole des Ponts ParisTech (ENPC) ; Cyril François Il est ingénieur en génie de l’environnement et docteur en urbanisme, Université Gustave Eiffel. Cet article est republié de La conversation sous licence Creative Commons. lire l’Article original.
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