Alors que l’Union européenne veut généraliser l’usage de la voiture électrique d’ici 2035, les besoins en métaux indispensables à la fabrication des batteries, notamment en lithium, vont exploser. Actuellement, le marché est dominé par une poignée de pays, mais l’UE veut bien jouer ses cartes en exploitant son sous-sol.
“Nous voulons qu’il soit accessible à tous.” A l’occasion de l’ouverture du Mondial de l’Auto, Emmanuel Macron a annoncé, lundi 17 octobre, une série de mesures favoriser l’achat de véhicules électriques. L’objectif : aller progressivement vers la fin de la voiture thermique, que l’Union européenne espère interdire en vente depuis 2035. Si cette perspective est perçue comme une étape essentielle sur la voie de la transition énergétique, elle pose aussi un sérieux problème : il faudra utiliser d’énormes quantités de métaux essentiels pour la fabrication des batteries, notamment le lithium.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon l’Agence internationale de l’énergiedepuis 2015 les volumes de production d'”or blanc” ont déjà triplé dans le monde, atteignant 100 000 tonnes par an en 2021. Ils pourraient encore être multipliés par sept d’ici 2030. Au niveau européen, il faudra environ 35 fois plus de lithium en 2050 que aujourd’hui, selon une étude publiée le 25 avril par l’Université de Louvainen Belgique.
“Nous sommes dans un contexte où tous les pays entament leur transition énergétique plus ou moins en même temps et cela génère des besoins très importants en métaux”, explique Olivier Vidal, géologue et directeur de recherche au CNRS. “Cela va sans doute créer des tensions pour les années à venir, avec des augmentations de coûts attendues et éventuellement des difficultés d’approvisionnement. Il y a donc un réel enjeu de souveraineté et de stratégie pour les Etats.” Preuve de cette inquiétude, la Commission européenne a déjà répertorié en 2020 le lithium sur la liste des matières premières critiques, c’est-à-dire qu’ils présentent un risque de pénurie. Le lithium “sera bientôt encore plus important que le pétrole et le gaz”, a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en septembre 2022.
Projets extractifs émergents
D’autant qu’aujourd’hui la production de lithium n’est dominée que par une poignée de pays : l’Australie, qui détient 20 % des réserves mondiales d’« or blanc », et l’Argentine, le Chili et la Bolivie, qui en concentrent 60 %. La Chine, pour sa part, a opté très tôt pour le raffinage et détient 17 % de la production de lithium. Une situation de quasi-monopole, pointe l’Agence internationale de l’énergie, qui considère que seuls ces cinq pays contrôlent 90% de la production mondiale.
Ainsi, avant cette course annoncée à « l’or blanc », l’Europe espère tirer son épingle du jeu en exploitant son propre sous-sol. Ses principales réserves se trouvent au Portugal, en Allemagne, en Autriche et en Finlande. En France, le Bureau français de recherches géologiques et minières (BRGM) a dressé un état des lieux en 2018 mettant en lumière les réserves en Alsace, tant dans le Massif central que dans le Massif armoricain, en Bretagne.
A l’initiative, bien souvent, de petites entreprises, plusieurs projets ont vu le jour ces dernières années pour exploiter ces gisements européens de lithium. “Le plus réussi est en Finlande. La production de lithium pourrait démarrer en 2024 grâce à l’exploitation d’un petit gisement minier situé à environ 600 km au nord d’Helsinki”, explique Christian Hocquard, géologue-économiste et co-auteur du livre “Objectif Lithium, réussir la transition énergétique”. la République tchèque, une société australienne, European Metals, veut exploiter d’anciennes mines d’étain situé au nord de Prague. Les mêmes projets en Allemagne et en Autriche.”
Réticence de la population
« Ce sont généralement des projets mineurs, réalisés par de petites entreprises. Les grands préfèrent investir en Australie ou en Amérique latine », résume le géologue. “Peu d’entre eux verront le jour, bloqués par les difficultés d’obtention des permis mais surtout par les réticences de la population”, prédit-il.
En effet, les projets miniers se heurtent souvent au mécontentement de la population locale. Au Portugal, une mine à ciel ouvert, la plus grande d’Europe occidentale, devait ouvrir en 2026 dans la ville de Covas de Barroso. Les travaux sont, pour le moment, suspendus, après de nombreuses manifestations. En Serbie, l’ouverture de la mine de Jedar a été annulée quelques mois avant les élections présidentielles de janvier 2022. En France, Barbara Pompili, alors ministre de la Transition écologique, avait évoqué en février 2021 l’idée d’exploiter une source de lithium en la petite commune de Tréguennec, dans le Finistère, mais classée en zone protégée. Toujours ici, l’annonce a déclenché un tollé.
“Cela produit des volumes considérables de déchets qu’il faut ensuite stocker”, précise Olivier Vidal pour expliquer ces protestations. “Sans compter que ces résidus risquent, par exemple, de polluer l’eau ou l’air.”
Si le géologue considère que cette colère est “tout à fait compréhensible”, il est plutôt favorable à ces projets. « Ce serait beaucoup plus éthique. Nous consommons du lithium au quotidien, la chose normale serait de subir nous-mêmes les impacts de son utilisation », précise-t-il. « Aujourd’hui, cette contamination existe déjà, mais dans d’autres pays, loin de nos regards. Cela permettrait de sensibiliser les utilisateurs, qui seraient confrontés aux impacts de leur consommation.
« Lithium vert », raffineries… alternatives ?
La France, de son côté, étudie une alternative : l’extraction du “lithium vert”. Contrairement à l’extraction de la roche ou aux salines, qui fonctionnent généralement comme des mines traditionnelles, ce “lithium vert” est produit à partir de sources géothermiques, avec un mode d’extraction similaire à un puits. en Alsace, le projet européen EuGeLi (pour European Geothermal Lithium) est un pionnier dans ce domaine. Elle a récemment réussi à extraire ses premiers kilogrammes de lithium grâce à cette technique. “Pour l’instant, cependant, la technique est encore trop chère pour être envisagée au niveau industriel”, précise Christian Hocquard.
L’autre alternative est de miser sur le raffinage du lithium plutôt que sur son exploitation. Un projet a été annoncé en Allemagne début juin. La société Viridian prévoit d’y ouvrir la première usine française de batteries au lithium d’ici fin 2025. Elle s’approvisionnera en minerais en Amérique latine et souhaite produire 100 000 tonnes d’hydroxyde de lithium d’ici 2030. « Cela ne résoudrait pas la question de la dépendance, mais cela créerait des connaissances et des emplois », déclare Olivier Vidal.
Et d’un point de vue écologique, cela aurait aussi un grand avantage. Actuellement, le lithium transite presque systématiquement par la Chine pour être raffiné. Dans les mois à venir, l’Union européenne prévoit d’ouvrir trois “gigafactories” pour la production de batteries, raffiner du lithium sur le territoire permettrait d’économiser des milliers de kilomètres.
Focus sur le recyclage des batteries
“Mais en tout cas, même si tous ces projets se concrétisent, ils ne pourraient pas concurrencer les salines d’Amérique latine ou la production australienne”, estime Olivier Vidal. “D’autre part, là où l’Union européenne pourrait vraiment bien faire dans les prochaines années, Il s’agit du recyclage des batteries.“
“Actuellement, les quantités de métaux à recycler sont encore limitées puisque les batteries au lithium n’existaient pas il y a dix ans. Mais en 2035 nous aurons des batteries en fin de vie pour les véhicules électriques et donc un stock recyclable.” précise. Selon l’Université de Louvain, entre 40% et 75% des besoins en métal de l’UE pourraient être satisfaits par le recyclage en 2050. De quoi assurer la sécurité d’approvisionnement, mais aussi réduire considérablement l’impact environnemental.
“Mais pour ça il faut agir maintenant”, insiste Olivier Vidal. “Il faut concevoir des produits facilement recyclables, à moindre coût, pour rassurer les investisseurs.”
« Et au-delà de toutes ces questions, c’est en fait une réflexion sur nos usages que nous devons avoir. Le lithium est certes utilisé dans les batteries de voiture, mais aussi dans de nombreux appareils du quotidien. L’un des leviers est aussi d’apprendre à aller vers le plus. sobriété matérielle“, conclut-il.
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