Du réservoir à la station-service, comment l’essence arrive-t-elle au réservoir de votre voiture ?

“Il est mort, mon pote, ça craint ici. Rien. Ça craint.” Mardi 11 octobre 2022, sur le parking de la station-service Esso de la place du Colonel-Fabien, coincée entre le boulevard de la Villette et la rue Louis-Blanc, dans le 19e arrondissement de Paris, l’agacement des premiers jours de carburant. la rareté fait place au fatalisme ludique. Celui de l’entraide et du demi-conseil : il convient d’aller “à Avia, là-bas, plus bas”quand un autre répond qu’il y a “pas de gasoil”et qu’il faudra attendre de toute façon “au moins deux heures”.

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Samedi, trois jours plus tôt, une centaine de voitures attendaient devant la gare, désormais déserte, à la suite du mouvement de grève pour une augmentation de salaire de dix jours chez TotalEnergies et Esso-ExxonMobil, reconduit mardi. Mercredi matin, plus de 30 % des stations françaises étaient en difficulté. “J’attends le camion, il paraît qu’il va arriver aujourd’hui”glisse un jeune homme, assis sur son scooter, philosophe, mais peu convaincu.

Il faudra peut-être attendre longtemps, car au cœur du problème de rareté se trouve celui des transports : du puits de pétrole au réservoir de l’automobiliste, il y a un long chemin à parcourir. Cela commence quelque part sous terre, parfois sous la mer. La France, en effet, ne produit pas de grandes quantités d’hydrocarbures : en 2017, elle n’a rejeté qu’environ 0,8 million de tonnes de pétrole brut de son sous-sol, soit à peine 1 % de la consommation nationale dans les petits gisements, situés principalement dans le bassin parisien et le bassin aquitain. Nous sommes donc totalement dépendants de nos importations de pétrole brut : 31 % proviennent du continent africain (notamment Algérie (11,6 %), Nigéria (11,4 %) et Libye (9,9 %), ex-URSS (22,7 %, dont 8,8 % de Russie avant-guerre en Ukraine) et 14,7 % du Moyen-Orient et 10,3 % de la Mer du Nord Négocié, le pétrole brut est ensuite acheminé vers 17 ports de France métropolitaine, dont trois seulement concentrent 84 % du trafic national : Marseille, Le Le Havre et Nantes-Saint-Nazaire.

Le pétrole leur est acheminé à bord de pétroliers, des navires spécialisés d’une capacité ne dépassant pas 300 000 tonnes. Avant la crise pétrolière de 1973, on préférait les superpétroliers géants, d’une capacité de 500 000 tonnes, parfois plus de 400 mètres de long. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux ont été transformés ou démantelés.

Une fois à destination, le brut est acheminé vers les raffineries. En 2022, la France compte huit raffineries : une en Martinique, qui assure la production pour les Antilles et la Guyane, et sept en France métropolitaine, ces dernières représentant plus de 98 % de la capacité nationale de raffinage, réparties comme suit : à Gonfreville-L’ Orcher (Total) et Gravenchon (Esso) en Seine-Maritime, à Lavera (Petroineos) et Fos-sur-Mer (Esso) dans les Bouches-du-Rhône, à Donges (Total) en Loire-Atlantique, à Feyzin (Total) dans le Rhône.

La septième raffinerie de France métropolitaine est celle de La Mède (Bouches-du-Rhône), pour produire des agrocarburants. La compagnie pétrolière TotalEnergie, qui exploite quatre de ces sept raffineries actives, détient la majorité des capacités de raffinage françaises (environ 54%), suivie par Esso (~29%), Petroineos (environ 16%) puis SARA ( 1%).

La raffinerie de Donges (Loire-Atlantique), le 22 juillet 2021. (BAPTISTE ROMAN / HANS LUCAS / AFP)

Le brut y est acheminé par pipeline : par exemple, le Southern European Pipeline (PSE) alimente les raffineries de Feyzin et de Cressier (Suisse) depuis le grand port maritime de Marseille, tandis que le pipeline Antifer-Le Havre transporte le brut du port d’Antifer vers le CIM Entrepôt (Compagnie Industrielle Maritime), situé au Havre, d’où il est acheminé vers les raffineries de Basse-Seine.

Là, ils tenteront de transformer l’or noir en diesel, les super sans plomb 95 et 98 qui alimentent le moteur de la voiture, par distillation atmosphérique. Le brut est ainsi chauffé dans un four à une certaine température pour obtenir un produit fini utilisable comme combustible domestique : 200°C pour l’essence, 350°C pour le diesel.

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Les produits déjà raffinés sont importés directement dans les gisements côtiers. En 2017, ces raffineries ont traité environ 57 millions de tonnes de pétrole brut.

Une fois affiné, le produit fini est acheminé vers l’un des 200 réservoirs de stockage répartis sur tout le territoire métropolitain, chacun d’une capacité de 400 m³ à plus d’un million de m³ pour le plus grand. Depuis 1974, ces dépôts doivent constituer des stocks stratégiques (trois mois de réserve) qui peuvent être débloqués à la demande de l’Etat. 60 % du carburant y est acheminé par un réseau de canalisations enterrées sur plus de 6 000 kilomètres.

Ainsi, par exemple, le gazoduc Le Havre-Paris alimente la région Île-de-France et les aéroports parisiens et dessert également les régions de Caen et d’Orléans-Tours. Le gazoduc Méditerranée Rhône alimente la région lyonnaise, la Côte d’Azur et la Suisse (Genève) depuis Fos-sur-Mer. Le gazoduc Donges-Melun-Metz alimente la région du Mans et l’est de la France. L’oléoduc commun de défense, créé dans le cadre de l’OTAN pour répondre aux besoins militaires, assure à la France métropolitaine environ la moitié des approvisionnements en produits pétroliers nécessaires aux armées françaises et s’étend sur 2 260 kilomètres sur le sol français. Le reste est acheminé par voie fluviale sur péniches, ou par train, et résiduellement dans des camions-citernes.

C’est la dernière ligne droite : c’est à partir de ces dépôts que le carburant arrivera dans l’une des 10 500 stations-service en France, dont 443 sont situées sur les autoroutes et voies rapides. 5 104 d’entre eux sont gérés par des supermarchés. Très concrètement, un camion-citerne vient chercher le carburant au dépôt, se charge de l’acheminer vers les stations-service, selon un horaire précis, mais interrompu ces dernières semaines par les grèves TotalEnergie et Esso.

Par conséquent, les camions attendent parfois de longues heures dans les dépôts avant de pouvoir commencer leurs livraisons, bloquant toute la machine. Les fournisseurs, quant à eux, essaient de répartir plus ou moins équitablement les livraisons entre les différents points de vente. Certains sont servis à l’heure, d’autres non… Avec, en plus, ici des files d’attente interminables devant les stations-service approvisionnées, et là d’autres stations, vides et désertes.

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