Après l’échec de ‘Simone’, cinq biopics pour se réconcilier avec les biopics

REGARD SUR PIERRE MURAT – Toutes les biographies filmées ne sont pas vouées à l’hagiographie et à l’illustration à la manière de « Simone – Le voyage du siècle ». Démonstration en cinq exemplaires, de Louis II de Bavière au peintre coréen Ohwon.

Des biographies illustratives, comme celle de Simone Veil (Simone – Le voyage du siècle, d’Olivier Dahan, en salles à partir du 12 octobre), il y en a plein. Hollywood les a très tôt mis à la mode : c’était chic pour les patrons des grands studios, la plupart du temps sans instruction, la finance La vie de Louis Pasteur (William Dieterle, 1936) La vie d’Emile Zola (toujours Dieterle, 1937), ou La vie de Thomas Edison (Clarence Brown, 1940)…

Et puis les stars ont toujours aimé se déguiser en personnages historiques : Greta Garbo et sa rivale Marlene Dietrich en souveraines (reine cristine, par Rouben Mamoulian, 1933, et al. l’impératrice rouge, de Josef von Sternberg, 1934), Marlon Brando dans Napoléon (voulupar Henry Koster, 1954), Kirk Douglas dans peintre (La vie passionnée de Vincent Van Gogh, par Vincente Minnelli, 1956). Plus récemment, on a eu droit à Denzel Washington en Malcolm X (dans Spike Lee en 1992), Jamie Foxx en Rayon Charles (dans Taylor Hackford, en 2004) ou encore Daniel Day Lewis dans Lincoln (dans Steven Spielberg, en 2012).

Comme ces biographies deviennent souvent de l’hagiographie, même les plus doués (Spielberg !) tombent dans l’académisme : surtout, ne pas nuire à l’image des célébrités. Sans scandaliser ni leurs descendants ni leurs fans, qui ont tendance à être plus tatillons que les familles… Heureusement, en s’affranchissant des clichés et du décorum, il arrive que certains cinéastes-biographes se précipitent sur les brancards. Cela donne alors lieu à des œuvres souvent discutées, auxquelles le temps finit par rendre justice.

Luchino Visconti et Ludwig II de Bavière

Romy Schneider et Helmut Berger, campant un Ludwig II de Bavière décrépit, à

Romy Schneider et Helmut Berger, campant un Ludwig II de Bavière décrépit, dans Ludwig ou le Crépuscule des dieux, de Luchino Visconti (1972).

Production cinématographique de Cinetel Dieter Geissler

n’a pas pu réaliser A la recherche du temps perdu. Luchino Visconti se sent vieux et incompris. Personne ne semble célébrer davantage la beauté qu’il a recherchée toute sa vie, de Sens c’est guépard. Comme pour enfin se convaincre, il se rend compte Ludwig ou le Crépuscule des Dieux, en 1973 : l’histoire d’un petit roi, persuadé que l’art rendra meilleur son règne. Le pauvre : jeté dans la fosse aux lions, fougueux, solitaire, homosexuel – différent, tragiquement différent de ses contemporains – Ludwig se retrouve abandonné de tous. Y compris Wagner, à qui il a tant donné. Même Elisabeth d’Autriche, “Sissi”, (Romy Schneider) qui est-il, “il se défend des autres en les fuyant”, trahit son cher cousin en hurlant de rire devant ses châteaux extravagants. Le cinéaste filme un être d’une sublime beauté (qu’il incarne à travers son amour, Helmut Berger) qui s’effondre physiquement et moralement. Spectacle grandiose et terrifiant.

Claude Chabrol et Landru

Charles Denner en tueur tout sauf fascinant, et Michèle Morgan, en

Charles Denner en tueur tout sauf fascinant, et Michèle Morgan, dans “Landru” de Claude Chabrol (1963).

Rome-Paris Films/Lux Compagnie

Après deux succès (le beau Serge, 1958, et Les cousins, 1959), les patins de Claude Chabrol. La presse l’assassine désormais et, (presque) seule, Françoise Sagan, devenue à un moment critique l’Express, encens les bonnes femmes (1960): « Un courant d’air qui sent bon la liberté, la joie, de temps en temps une douce folie et, enfin, l’intelligence. » Il écrit pour lui les délicieux dialogues de Landru (1963). Avec elle, Chabrol fait de ce tueur en série, on ne l’a pas encore dit, non pas un fantasme fascinant (un cliché de toutes les séries américaines), mais un petit entrepreneur pragmatique, obligé de nourrir sa famille. Nous avons donc, d’un côté, la guerre de 14-18 : un massacre. Et, de l’autre, un artisan qui taille, dans une villa Gambais, des vieilles femmes assoiffées d’amour et de sexe (Michèle Morgan, Danielle Darrieux, Hildegard Knef, Mary Marquet…). Lequel des deux massacres est le plus monstrueux ? Entre deux meurtres, Henri Désiré Landru (Charles Denner), doué pour les affaires, distribue de l’argent à sa femme et ses enfants, qui se doutent de tout mais se taisent…

Arnaud Desplechin et Philippe Roth

Denis Podalydès (Philip Roth) et Léa Seydoux (La Maîtresse anglaise) dans

Denis Podalydès (Philip Roth) et Léa Seydoux (la maîtresse anglaise) dans “Déception”, d’Arnaud Desplechin (2021).

Shanna Besson/ Pourquoi pas ? productions

Philip Roth est américain. Auteur honnête : le titre de sa nouvelle le prouve amplement, Triché. Pour raconter la romance du romancier qui lui a permis de devenir cinéaste avec ce qu’il appelle “l’amant anglais”, Arnaud Desplechin s’appuie sur l’illusion de Jean Renoir : Nous sommes un théâtreil a dit. Nous ne sommes qu’un ensemble de rôles que nous incarnons imparfaitement. » Roth, incarné par l’un de ses sosies, Bruno Podalydès, français jusqu’à la fin de chaque intonation, devient un casse-tête. Dont les autres protagonistes (sa femme, lucide, son ex, malade…) livrent des morceaux épars qu’il faut reconstituer. C’est aussi l’histoire d’un personnage, la « maîtresse anglaise » (Léa Seydoux), qui tente d’échapper à son créateur, afin d’exister en quelque sorte par elle-même. Combat inégal, puisqu’elle n’a que sa vie tandis que le romancier a son œuvre. Rarement nous nous sommes montrés meilleurs dans tous les cas que dans Triché (2021), et si sensuellement, comme un romancier, il n’était vraiment à sa place que lorsqu’il écrivait.

Anatole Litvak et Anastasia

Ingrid Bergman, la fausse Anastasia dans le film d'Anatole Litvak (1956), a remporté l'Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle.

Ingrid Bergman, la fausse Anastasia dans le film d’Anatole Litvak (1956), a remporté l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle.

Renard du 20e siècle

Une biographie d’autant plus passionnante qu’elle est fausse. En 1928, afin de s’accaparer la fortune du tsar Nicolas II, exécuté dix ans plus tôt avec sa famille, des gangsters tentent de faire passer une jeune femme pour la grande-duchesse Anastasia, miraculeuse rescapée du massacre. Le général Bunin (Yul Brynner), en tant que professeur Higgins dans Ma belle dame, est chargée d’inculquer à l’inconnue (Ingrid Bergman) des souvenirs qu’elle n’a pas. S’il n’y a que cette vie qui n’est pas la sienne, il se l’approprie. Comme le personnage imaginé par Luigi Pirandello dans Comment me veux tu, se glisse dans les rêves des autres. Elle devient Anastasia parce que tout le monde veut qu’elle soit… Toute la carrière d’Anatole Litvak (depuis Mayerlingtourné en France en 1936, en La nuit des généraux, réalisé à Hollywood en 1967) est sur le point d’être redécouvert. la capacité deAnastasia (tourné en 1956, rien à voir avec l’horrible dessin animé Disney de 1997) est de se rendre petit à petit complices d’une arnaque qui plaît même aux victimes…

Je suis Kwon-taek et Ohwon

You Ho-jeong et Choi Min-sik, artiste « Ivre de femmes et de peinture » (Im Kwon-taek, 2002).

You Ho-jeong et Choi Min-sik, artiste « Ivre de femmes et de peinture » (Im Kwon-taek, 2002).

Photos de Taehung

Vous n’avez peut-être pas besoin de connaître quoi que ce soit sur le modèle pour faire une bonne biographie. Du peintre coréen Ohwon, Im Kwon-taek ne sait rien, ou presque : sa date de naissance (1847), celle, approximative, de sa disparition (1897). Alors rêvez, inventez, imaginez. Et de sa recherche -parce que c’en est une- naît ce film visionnaire : un hymne à l’artiste qui “Il ne faut jamais donner au public ce qu’il attend Et qu’il doit fuir le pouvoir à tout prix, qu’il n’est là que pour le détruire ou l’asservir. Tous les films qui prétendent célébrer les célébrités étaient, comme Ivre de femmes et de peinture (2002), illusions. Affectations. Des manifestes qui prônent l’artifice comme moyen le plus sûr d’atteindre la vérité -en quelques secondes dans le meilleur des cas.

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