Après avoir envoyé un communiqué la semaine dernière, la défense de Tayeb Benabderrahmane a fait un pas en avant ce mercredi après-midi avec une conférence de presse. Le rendez-vous était donné, pour deux jours, dans un salon d’un hôtel de luxe du 1er arrondissement de Paris. Ses trois avocats -Mon Luc Vidal, Juan Branco et Nabil Boudi- ont échangé pendant plus d’une heure avec les nombreux journalistes présents. Au programme : “Donner des explications” sur l’arrestation de son client au Qatar début 2020 et dévoilant “c’est vrai dans ce cas”.
A propos de son profil : “Le profil classique d’un investisseur français à l’étranger”
« C’est un homme d’affaires français, actif depuis quinze ans dans le domaine du conseil géopolitique et géoéconomique, à travers divers réseaux. Et que, dans le cadre de ses activités, elle a rencontré un certain nombre d’acteurs qui lui ont permis de réaliser de nombreuses missions en France et à l’étranger, souvent liées à des situations de crise.
C’est dans ce contexte que les autorités qataries l’ont approché, dans un contexte de boycott économique et politique, pour investir son réseau, ses connaissances, son expérience. Ainsi, il entre en contact avec des personnalités de premier plan au Qatar et s’y installe avec sa famille. Il a développé son activité de conseil et a continué à fournir ses services au pays. Bref, le profil classique d’un investisseur français à l’étranger. Jusqu’au 13 janvier 2020… »
Sur son arrestation et sa détention : « Des actes de pression et de torture »
« Ce jour-là, il a été arrêté dans la matinée par les forces de sécurité locales. Son appartement a été perquisitionné, sa propriété matérielle et intellectuelle a été saisie. Il a ensuite été placé en détention clandestine, soumis pendant plusieurs semaines à des actes de pression et de torture pour obtenir des informations et surtout pour le contraindre, par l’intermédiaire de son épouse, à restituer toutes les informations dont il disposait. Il a ensuite été retiré du centre lors de leur remise, avant d’être placé en résidence surveillée et de quitter le pays le 1er novembre 2020.
Sur les revendications : “Aucun soutien des autorités françaises”
« À aucun moment, leurs droits fondamentaux n’ont été respectés. Il ne bénéficiait d’aucune protection consulaire, ni du droit à un procès équitable et accessible. Aucune autorité judiciaire ou policière n’a non plus tenté de le soustraire à la situation dans laquelle il se trouvait, ni tenté d’enquêter sur sa détention. Sa réaction a été progressive, mais immédiate. La plainte pénale de cet été n’est que l’aboutissement d’une série de démarches, amicales puis contentieuses, entreprises par lui-même, seul et en silence, sans aucun soutien des autorités françaises.
C’est dans ces conditions que, fin août-début septembre (2022), a décidé d’intensifier sa réponse et d’engager des poursuites pénales. Ce sont deux plaintes. Le premier, contre X, pour des actes de torture et le second pour des actes d’extorsion, également dirigés contre X mais visant toutes les personnes qui ont participé à ces négociations jusqu’à leur libération contre documents. »
Sur le rôle présumé d’Al-Khelaïfi : “J’avais quelque chose à craindre”
« Nasser al-Khelaïfi l’a contraint à renoncer à toute divulgation de documents potentiellement compromettants pendant sa détention au Qatar et ses avocats présumés (de l’époque) fait pression sur sa famille pour qu’elle récupère les objets et signe ce protocole* (de confidentialité). Al-Khelaïfi, l’une des personnes les plus puissantes au monde, a tenté d’empêcher que toute information le concernant ne soit partagée.
Pour le Qatar, tout le problème est d’étouffer ce type de business car on touche à des enjeux stratégiques importants. Notre client était perçu comme un obstacle et le football était utilisé comme un outil à exploiter à des fins politiques directes. S’ils prenaient tous ces risques (arrête ça), c’est que cette préoccupation est importante. Et, si Al-Khelaïfi était personnellement impliqué, c’est qu’il avait quelque chose à craindre. »
Sur les ramifications : “Cette affaire est assez vaste”
« Ce à quoi nous assistons ressemble à un scandale d’État. La (votre client) Cela ne ressemble pas au millier de victimes que le régime qatari a fait ces dernières années, parmi les travailleurs étrangers et les opposants politiques. C’est un miracle, et sa vie est toujours en grand danger aujourd’hui. D’où la volonté de faire entendre leur voix et de faire connaître leur histoire. Cela remet en cause le silence absolu imposé en France. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a été le premier informé, ainsi que l’ambassadeur de France au Qatar. Les démarches ont été répétées en janvier, toujours sans suite.
Pourquoi la France est-elle restée silencieuse ? Nous sommes en droit d’attendre des réponses. La France a-t-elle sciemment gardé le silence et sciemment couvert un État étranger ? Les réseaux de corruption mis en place par le Qatar vont bien plus loin qu’on ne le pense. Cette affaire est assez vaste. Il y a des intérêts d’avocats, de politiciens, d’anciens ministres et d’élus. Il faut donc enquêter pour savoir s’il a été victime de torture au Qatar et, surtout, si les acteurs français sont complices, y compris ceux qui sont restés silencieux. Certains interlocuteurs à Paris étaient au courant des abus dont il a été victime. »
Sur sa récente inculpation pour suspicion de fuites confidentielles : “Une contre-attaque trop grossière”
« L’enquête dont il est chargé ne le concerne pas initialement et l’atteinte à la vie privée, qui était l’une des charges initiales, est également tombée lors de sa comparution devant le juge d’instruction. Il est poursuivi mais reste libre, seulement placé sous contrôle judiciaire. Nous sommes habitués à ces tentatives de lutte contre les incendies, qui sont trop grossières. Il y aura une offensive extraordinaire pour détruire notre client, après avoir tenté de le faire disparaître. »
Sur sa condition : “Un homme brisé”
« Sa position était celle d’un homme brisé quand il est rentré en France. Nous disposons d’éléments concrets et objectifs, dont des rapports médicaux, qui nous permettent d’affirmer que pendant sa détention il a été soumis à des traitements inhumains et dégradants. Il y a également eu des menaces directes contre sa famille, comme l’empoisonnement de ses enfants, ou des atteintes permanentes à son intégrité.
Ce fut un traumatisme durable, que sa femme continue de ressentir. Tout le monde autour de lui a subi ces événements. Imaginez le niveau de peur qui a pu vous habiter ces derniers mois. Il subit des violences extraordinaires, tente de se reconstruire et espère que justice sera rendue. Pour lui et pour toutes les autres personnes qui ont pu apprendre des événements similaires sans pouvoir se faire entendre. »
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